Page:Revue de Paris, 7è année, Tome 3, Mai-Juin 1900.djvu/489

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
485
LE FEU

— Allons chez toi, allons chez toi ; allumons le feu, le premier feu d’octobre. Permets que je passe avec toi la soirée, Foscarina ! Il va pleuvoir. Ce serait si doux, de rester dans ta chambre, à parler, à se taire, les mains dans les mains… Viens. Allons.

Il aurait voulu la prendre dans ses bras, la bercer, la consoler, l’entendre pleurer, boire les larmes. La douceur de ses propres paroles augmentait sa tendresse. Alors, dans toute la personne de l’amante, il aima éperdument les plis délicats qui rayonnaient du coin des yeux vers les tempes, et les petites veines sombres qui rendaient les paupières semblables à des violettes, et l’ondulation des joues, et le menton effilé, et tout ce qui semblait touché par le mal d’automne, toute l’ombre répandue sur ce passionné visage.

— Foscarina ! Foscarina !

Quand il l’appelait par son nom véritable, son cœur palpitait plus fort, comme si quelque chose de plus profondément humain fût entré dans son amour, comme si, tout d’un coup, le passé eût ressaisi la figure qu’il se plaisait à isoler dans son rêve, et que d’innombrables fils en eussent rattaché toutes les fibres à la vie implacable.

— Viens. Allons !

Elle souriait péniblement.

— Mais pourquoi ? La maison est toute proche. Passons par la Calle Gàmbara. Ne voulez-vous pas connaître l’histoire de la comtesse de Glanegg ?… Regardez. On dirait un monastère !

La rue était déserte comme le sentier d’un ermitage, grisâtre, humide, semée de feuilles mortes. Le vent d’est faisait naître dans l’air une brume lente et molle qui assourdissait les bruits. Par instants, le ramage confus et monotone ressemblait à un son de bois et de fers qui grinceraient.

— Derrière ces murailles, une âme désolée survit à la beauté d’un corps, — dit la Foscarina, doucement. — Regardez ! Les fenêtres sont closes, les contrevents sont fixés, les portes sont scellées. Une seule s’ouvre encore, celle des serviteurs, par où entre la nourriture de la défunte, comme dans les tombeaux égyptiens. Les serviteurs nourrissent un corps qui ne vit plus.