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LA REVUE DE PARIS

mise, et elle exige une expiation. D’abord, il me semblait que j’aurais pu faire pour toi les choses les plus humbles et les plus hautes ; et maintenant, il me semble que je ne puis faire qu’une seule chose : m’en aller, disparaître, te laisser libre avec ton destin…

Il l’interrompit en se soulevant, prit le cher visage entre ses paumes.

— Je puis cette chose que l’amour ne peut pas ! — dit-elle à voix basse, toute pâle.

Et elle le regardait comme jamais elle ne l’avait regardé.

Il sentit que dans le creux de ses paumes il tenait une âme, une source vive, infiniment belle et précieuse.

— Foscarina, Foscarina, mon âme, ma vie, ah ! oui, plus que l’amour, je sais, tu peux me donner plus que l’amour ; et rien ne vaut pour moi ce que tu peux me donner ; et nulle autre offrande ne pourrait me consoler de ne plus t’avoir à mon flanc sur ma route. Crois-moi ! Je te l’ai répété si souvent ! te souvient-il ? même lorsque tu n’étais pas encore mienne tout entière, même lorsque ce pacte nous séparait encore…

Et, la tenant toujours prise entre ses paumes, il se pencha, la baisa passionnément sur les lèvres.

Elle frissonna jusqu’aux os : le fleuve passait de nouveau sur elle et la glaçait.

— Non, non ! — pria-t-elle, toute blanche.

Elle se détourna du jeune homme. Sa poitrine palpitait. Elle se pencha, comme en rêve, pour ramasser les violettes tombées.

— Le pacte ! — dit-elle après un intervalle de silence.

Un sifflement sourd partait d’un tison rebelle à la morsure de la flamme ; la pluie crépitait sur les pierres et sur les branches. De temps à autre, ce bruit imitait l’agitation de la mer, évoquait les solitudes hostiles, les lointains rivages inhospitaliers, les êtres errants sous la rigueur des cieux.

— Pourquoi l’avons-nous violé ?

Stelio avait les yeux fixés sur la splendeur mobile de l’âtre ; mais dans ses mains ouvertes persistait la sensation prodigieuse, le vestige du miracle, la trace de ce visage humain où, à travers la pâleur lamentable, avait passé cette onde de beauté sublime.