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LE FEU

héros souffrait, dans l’attente de la mort ; et cependant, près d’eux, le berceau se balançait, et la prière maternelle appelait la félicité sur le pleur enfantin.

— La vie ! — dit Stelio qui, reprenant sa marche, entraîna Daniele avec lui. — Dans l’espace d’un moment, tout ce qui tremble, pleure, espère, halète et délire dans l’immensité de la vie, se ramasse en ton esprit et s’y condense avec une sublimation si rapide que tu crois pouvoir la manifester par une seule parole. Laquelle ? laquelle ? Est-ce que tu la connais, toi ? Qui saura jamais la dire ?

Il recommençait à souffrir d’anxiété et de mécontentement, parce qu’il voulait tout embrasser et tout exprimer.

— As-tu jamais vu, à certaines minutes, l’idée de l’Univers devant toi, comme une tête humaine ? Moi, oui, mille fois. Ah ! la trancher comme celui qui trancha d’un seul coup la tête de Méduse, et la tenir suspendue devant la foule, du haut de la scène, pour qu’elle ne l’oublie jamais plus ! As-tu jamais pensé qu’une grande tragédie pourrait ressembler au geste de Persée ? Je te le dis en vérité : je voudrais enlever de la loggia d’Orcagna et transporter dans le vestibule du nouveau théâtre le bronze de Benvenuto, en guise d’admonition. Mais qui donnera à un poète l’Épée et le Miroir ?

Daniele se taisait, devinant le tourment de cet esprit fraternel, lui qui avait reçu de la nature le don de jouir de la beauté, mais non celui de la créer. Il marchait en silence à côté de son frère, penchant cet énorme front méditatif qui semblait gros d’un monde non enfanté.

— Persée ! — continua l’animateur, après une pause que remplirent les éclairs de ses inventions. — Sous la citadelle de Mycènes, dans le ravin, il y a une fontaine nommée Perséia : la seule chose vivante en ce lieu où tout est mort et brûlé ! Les hommes sont attirés vers elle comme vers une source de vie, sur cette terre où, très tard dans le crépuscule, on voit blanchir douloureusement les lits des fleuves à sec. Toute la soif humaine se porte ardemment vers sa fraîcheur. À travers mon œuvre entière, on entendra le murmure de cette source : l’eau, la mélodie de l’eau… Je l’ai trouvée ! C’est en elle, dans le pur élément, que s’accomplira l’Acte pur qui est la fin de la tragédie nouvelle. C’est sur son eau froide et