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LA REVUE DE PARIS

claire que s’endormira la vierge destinée à mourir « privée de noces », comme Antigone. Comprends-tu ? L’Acte pur marque la défaite de l’antique Destin. L’âme nouvelle rompt tout à coup le cercle de fer où elle est emprisonnée, par une détermination née de la folie, née d’un lucide délire qui ressemble à l’extase, qui est comme une plus profonde vision de la Nature. Dans l’orchestre, l’ode finale chante le salut et l’affranchissement de l’homme, obtenus par le moyen de la douleur et du sacrifice. Le Destin monstrueux est vaincu, là, près des tombeaux où descendit la race d’Atrée, devant les cadavres mêmes des victimes. Comprends-tu ? Celui qui se libère par l’Acte pur, le frère qui tue la sœur pour sauver son âme de l’horreur qui était sur le point de la saisir, il a vu réellement la face d’Agamemnon !

La fascination de l’or funèbre le reprenait ; l’évidence de sa vision intérieure lui donnait l’aspect d’un halluciné.

— Un des cadavres, là, surpasse en stature et en majesté tous les autres : le front ceint d’une large couronne d’or, avec la cuirasse, avec le baudrier, avec les jambières d’or, entouré d’épées, de lances, de poignards, de coupes, sous des milliers de disques d’or jetés à pleines mains comme des corolles, plus vénérable qu’un demi-dieu. L’homme se penche sur ce cadavre qui va se dissoudre dans la lumière, et il soulève le masque pesant… Ah ! ce qu’il voit alors, n’est-ce donc pas la face d’Agamemnon ? Ce cadavre, n’est-ce pas le Roi des Rois ? La bouche est ouverte, les paupières sont ouvertes… Tu te rappelles, tu te rappelles ce passage d’Homère ? « Comme je gisais mourant, je soulevai les mains vers mon épée ; mais la femme aux yeux de chienne s’éloigna et elle ne voulut pas me fermer les paupières et la bouche, au moment où je descendais à la demeure d’Hadès. » Tu te rappelles ? Eh bien, la bouche du cadavre est ouverte, les paupières sont ouvertes… Il a le front grand, orné d’une feuille d’or ; le nez est long et droit, le menton ovale…

L’évocateur s’arrêta une seconde, les yeux dilatés et fixes. Il était le voyant. Tout disparaissait alentour, et sa fiction restait comme la seule réalité. Daniele Glàuro eut un frisson : car il voyait par les yeux de l’autre.

— Ah ! même la tache blanche sur l’épaule !… Il a soulevé