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LA REVUE DE PARIS

frénétiquement secouées. À l’unisson, dans un suprême élan d’allégresse, les voix et l’orchestre tonnèrent vers l’énorme chimère ocellée, sous le trésor suspendu de ce ciel, dans cette enceinte de rouges trirèmes, de tours crénelées et de théories triomphales.

Viva dell’Indie,
Viva de’ mari,
Viva de’ mostri
Il domatori[1]! »

Stelio Effrena était venu sur le seuil ; à travers la presse qui s’ouvrait devant lui, il avait pénétré dans la salle ; il s’était arrêté près de l’estrade occupée par l’orchestre et les chanteurs. Ses yeux inquiets cherchaient la Foscarina près de la sphère céleste, mais ne l’y rencontraient pas. La tête de la Muse tragique ne se dressait plus dans l’orbe des constellations. — Où était-elle ? Où s’était-elle retirée ? Le voyait-elle sans qu’il la vit ? — Une anxiété confuse l’agitait ; et les visions qu’il avait eues, le soir, sur les eaux, remontaient dans son esprit, indistinctes, accompagnées par les paroles de la suprême promesse. En regardant les balcons ouverts, il pensa que peut-être elle était allée respirer l’air nocturne et que, penchée peut-être sur la balustrade, elle sentait sur sa nuque froide passer le flot musical et qu’elle en jouissait comme du frisson communiqué par des lèvres tenaces.

Mais l’attente de la voix divine domina en lui toute autre impatience, abolit toute autre anxiété. Il s’aperçut qu’il s’était fait dans la salle un grand silence, comme à l’instant où il avait desserré les lèvres pour proférer la première syllabe. De même qu’en cet instant, le monstre éphémère et versatile, aux mille visages humains, semblait se tendre et se faire muet et se faire vide pour recevoir une âme nouvelle.

Quelqu’un chuchota près de lui le nom de Donatella Arvale. Il tourna les yeux vers l’estrade, par delà les violoncelles qui formaient une haie brune. La cantatrice demeurait invisible, cachée dans la forêt délicate et frémissante d’où allait s’élever l’harmonie douloureuse qui accompagne la lamentation d’Ariane.

Enfin, dans le silence favorable, s’éleva un prélude de vio-

  1. « Vive des Indes, — vive des mers, — vive des monstres, — le dompteur