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LE FEU

homme avait pris entre ses mains la tête d’Ali-Nour ; mais c’était sur ses propres tempes qu’elle sentait le toucher de ces mains. Le jeune homme examinait les pupilles d’Ali-Nour ; mais c’était au fond de son âme propre qu’elle sentait ce regard. Et il lui parut que la louange donnée aux yeux du lévrier allait à ses propres yeux.

Elle était là, debout sur l’herbe comme ces fiers animaux qu’il aimait, vêtue comme celui qu’il préférait entre tous, comme eux hantée par le confus souvenir d’une lointaine origine, et un peu étourdie par l’ardeur des rayons que reflétait le mur tapissé de rosiers, comme dans l’étourdissement et le feu d’une fièvre légère. Elle entendait Stelio parler de ces choses vivantes, de ces membres aptes à la course et à la prise, de la vigueur, de l’adresse, de la puissance naturelle, de la vertu du sang ; et elle le voyait près de terre, dans l’odeur de l’herbe, dans la chaleur du soleil, flexible et fort, palpant la peau et les os, mesurant l’énergie des muscles visibles, jouissant au contact de ces corps généreux, participant presque à cette bestialité délicate et cruelle qu’il s’était souvent complu à représenter dans les inventions de son art. Et elle-même, les pieds dans la terre chaude, sous les souffles du ciel, semblable par la couleur de son vêtement au déprédateur fauve, elle sentait monter des racines de sa propre substance un étrange sentiment de bestialité primitive et comme l’illusion d’une lente métamorphose où elle perdrait une partie de sa conscience humaine et redeviendrait une fille de la nature, une force ingénue et brève, une vie sauvage.

Ne touchait-il pas ainsi en elle le plus obscur mystère de l’être ? Ne lui faisait-il pas sentir ainsi la profondeur animale d’où avaient jailli ces révélations de son génie tragique, inattendues et qui avaient secoué, enivré la multitude comme les spectacles du ciel et de la mer, comme les aurores, comme les tempêtes ? Lorsqu’il lui avait parlé du sloughi tremblant, n’avait-il pas deviné de quelles analogies naturelles l’actrice tirait les puissances d’expression qui émerveillaient les poètes et les peuples ? C’était parce qu’elle avait retrouvé le sens dionysiaque de la nature naturante, l’antique ferveur des énergies instinctives et créatrices, l’enthousiasme du dieu multiforme émergé de la fermentation