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LA REVUE DE PARIS

calme. Gog galopait de front avec mon cheval Cambyse ; et, de temps à autre, il s’élançait vers la pièce de gibier pendue à l’arçon de ma selle, en aboyant. Tout à coup, devant une charogne qui se trouvait sur le sable, mon cheval fit un bond à droite et, dans l’écart, frappa de son fer le chien qui se mit à hurler, en relevant sa patte gauche de devant, cassée, semblait-il, à la cheville. J’arrêtai à grand’peine la bête effarouchée, et je revins sur mes pas. Mais, dès que Cambyse aperçut de nouveau la charogne, il fit volte-face et me força la main. Ce fut alors une fuite vertigineuse à travers les dunes. Quelques instants plus tard, avec une émotion que je ne saurais dire, j’entendis à la queue de mon cheval le halètement de Gog. Il me suivait, comprenez-vous ! Poussé par la générosité du sang, oublieux de la douleur, il m’avait rejoint, avec sa patte cassée, il m’accompagnait, il passait devant moi ! Mes yeux rencontrèrent ses beaux yeux doux ; et, tandis que je m’efforçais de maîtriser mon cheval affolé, mon cœur se fendait chaque fois que la pauvre patte blessée effleurait le sable. Je l’adorai, je l’adorai alors !… Me croyez-vous capable de pleurer ?

— Oui, — répondit lady Myrta, — même de pleurer.

— Eh bien, pendant que ma sœur Sofia lavait la blessure avec ses belles mains sur lesquelles tombaient des larmes, je crois que moi aussi…

La Foscarina était près d’eux, avec Donovan qu’elle tenait par le collier, redevenue pâle et presque effacée, comme si déjà commençait à la pénétrer le froid du soir. La coupole de bronze allongeait son ombre sur les herbes, sur les lauriers, sur les charmilles. Une humidité violette, où nageaient les derniers atomes de l’or solaire, se répandait entre les troncs et les branches que faisaient trembler les souffles intermittents. Et les oreilles maintenant réentendaient le ramage qui emplissait la chevelure du pin semée de cônes vides.

« Eh bien, oui, nous vous appartenons, — semblait dire la femme accompagnée du lévrier qui, saisi par les premiers frissons du soir, se serrait contre ses genoux. — Oui, nous vous appartenons à jamais. Nous sommes ici pour servir. »