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LE FEU

rent. La profonde caverne d’or, avec ses apôtres, avec ses martyrs, avec ses bêtes sacrées, scintilla toute derrière elle comme si les mille torches du jour s’y fussent précipitées. Le chant s’arrêta, puis recommença.

« J’étouffe de tristesse… La violente envie de me révolter contre mon sort, de m’en aller à l’aventure, de chercher… Qui sauvera mon espérance ? De qui me viendra la lumière ?… Chanter, chanter ! Mais je voudrais enfin chanter un chant de vie… Sauriez-vous me dire où se trouve à présent le Maître du Feu ? » Elle les portait imprimées dans les yeux, imprimées dans l’âme, les paroles que contenait la lettre de Donatella Arvale, avec toutes les particularités de l’écriture, avec toutes les singularités des caractères, vivantes comme la main qui les avait tracées, palpitantes comme ce poignet impatient. Elle les voyait gravées sur les pierres, dessinées dans les nuages, reflétées dans les eaux, indélébiles et inévitables comme les arrêts du Destin.

« Où irai-je ? où irai-je ? » À travers son agitation et sa désespérance lui arrivait la douceur des choses, la tiédeur des marbres dorés, l’odeur de l’air calme, la langueur des loisirs humains. Elle regarda une femme du peuple enveloppée dans sa mante brune, assise sur les marches de la Basilique, ni vieille ni jeune, ni belle ni laide, qui jouissait du soleil et mangeait un grand morceau de pain dont elle détachait les bouchées avec ses dents et qu’elle mâchait ensuite avec lenteur, les yeux mi-clos pour savourer ce bien, tandis que ses sourcils blonds luisaient en haut de ses joues. « Ah ! si je pouvais me changer en toi, prendre ton sort, me contenter de soleil et de pain, ne penser plus, ne souffrir plus ! » Le repos de cette pauvre femme lui sembla une félicité infinie.

Elle se retourna avec un sursaut, craignant et espérant d’être suivie par l’aimé. Elle ne l’aperçut pas. Elle aurait fui, si elle l’avait aperçu ; mais elle eut le cœur serré comme s’il l’envoyait à la mort sans un mot de rappel. « Tout est fini. » Elle perdait toute mesure et toute certitude. Les idées passaient en elle, rompues et entraînées confusément par l’angoisse comme les plantes et les pierres dans le ravage d’un fleuve débordé. En chaque aspect des choses ses yeux égarés voyaient une confirma-