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LA REVUE DE PARIS

t-il ? Pourquoi êtes-vous si fermée avec votre ami ? Dites ! Parlez-moi !

Stelio, entrant par hasard à Saint-Marc, l’avait vue adossée à la porte de la chapelle où est le Baptistère. Elle était là, seule, immobile, le visage dévoré par la fièvre et par l’ombre, avec des yeux pleins d’épouvante fixés sur les figures terribles des mosaïques qui flamboyaient dans un feu jaune. Derrière la porte, on répétait un chœur ; et le chant s’interrompait, puis recommençait sur la même cadence.

— Je vous en prie, je vous en prie, laissez-moi seule ! J’ai besoin d’être seule ! Je vous en conjure !

Le son de ses paroles révélait la sécheresse de sa bouche convulsée. Elle fit un mouvement pour se retourner, pour fuir. Il la retint.

— Mais parlez ! Dites au moins une parole, que je comprenne !

Elle chercha encore à se dérober ; et ce mouvement exprima une indicible souffrance. Elle eut l’aspect d’une créature déchirée par un supplice, torturée par un bourreau. Elle semblait plus misérable qu’un corps attaché à la roue, tenaillé par le fer brûlant.

— Je vous en conjure ! Si je vous fais pitié, la seule chose qu’à présent vous puissiez pour moi, c’est de me laisser partir…

Elle parlait à voix basse ; et, qu’elle ne criât pas, que de sa gorge ne sortissent pas des hurlements et des râles, cela paraissait une chose non humaine, tant était visible le spasme de toute cette âme bouleversée.

— Une parole, au moins une parole, que je comprenne !

Une flamme de fureur monta sur ce visage défait.

— Non. Je veux être seule.

Sa voix fut aussi dure que son regard. Elle tourna les épaules, fit quelques pas comme une personne saisie par le vertige et qui se hâte vers un appui.

— Foscarina !

Mais il n’osa pas la retenir. Il vit la désespérée cheminer dans la zone de soleil qui, par la porte qu’ouvrait une main inconnue, envahit la Basilique avec l’impétuosité d’un tor-