Page:Revue de Paris, 7è année, Tome 3, Mai-Juin 1900.djvu/750

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
746
LA REVUE DE PARIS

jeune et la vierge qui est forte de sa jeunesse intacte. Elle sentit l’humiliation et la cruauté de cette lutte inégale. « Mais, si ce n’était pas elle, — lui disait un esprit contraire, — ne serait-ce pas une autre ? Crois-tu donc pouvoir conserver à ta triste passion un homme d’une telle nature ? La seule condition qui t’aurait permis de l’aimer et de lui offrir ton amour fidèle jusqu’à la mort, c’était de maintenir le pacte que tu as violé. »

— C’est vrai, c’est vrai ! — murmura-t-elle comme si elle eût répondu à une voix distincte, à un arrêt formel prononcé dans le silence par le destin invisible.

« La seule condition à laquelle il puisse maintenant accepter ton amour et le reconnaître, c’est que tu le laisses libre, que tu renonces à la possession, que toujours tu donnes tout et que jamais tu ne réclames rien… À la condition d’être héroïque !… As-tu compris ?

— C’est vrai, c’est vrai ! — répéta-t-elle en relevant le front. Toute sa beauté morale resplendissait au sommet de son âme.

Mais le poison la mordit. Une fois encore, tous ses sens eurent le ressouvenir de toutes les caresses. La bouche, les mains, la force, l’ardeur du jeune homme passèrent dans son sang comme s’ils se dissolvaient en elle. Et elle resta là, immobile dans sa souffrance, muette dans sa fièvre, la chair et l’âme consumées comme ces pampres rouges et tachetés qui semblaient brûler par les bords à la façon des papiers jetés sur la braise.

Alors, un chant lointain flotta dans l’air sans changement, trembla dans la stupeur immense : un chant de voix féminines qui semblait sortir de poitrines brisées, de gorges fendues comme de fragiles roseaux, pareil à ces sons qui s’éveillent dans le fond des vieilles épinettes aux cordes affaiblies lorsqu’une main en presse les touches usées, un chant inégal et strident, sur un rythme vulgaire et allègre qui était triste comme les plus tristes choses de la vie, dans cette immobilité et dans cette lumière.

— Qui chante ?

Avec une émotion obscure, elle se leva, s’approcha de la rive, tendit l’oreille pour écouter.