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LE FEU

oblique faisait alterner ses bandes fauves avec les zones glauques de l’ombre. — On ne respire pas, ici.

Effectivement, l’air y manquait comme dans une crypte.

— Maintenant, — poursuivit la voix fastidieuse, — nous passons à la chambre de Maximilien d’Autriche, qui avait placé son lit dans le cabinet d’Amélie de Beauharnais.

Ils traversèrent la pièce dans une lueur vermeille. Le soleil frappait sur un canapé cramoisi, irisait les gouttes de cristal d’un lustre gracile, allumait sur la muraille le rouge des raies perpendiculaires. Stelio s’arrêta sur le seuil, se retourna, évoqua dans cette splendeur sanglante la figure pensive du jeune archiduc aux yeux bleus, la belle fleur de Habsbourg tombée sur la terre barbare un matin d’été.

— Partons ! supplia de nouveau la Foscarina, qui le voyait s’attarder.

Elle fuyait à travers le salon immense peint à fresque par Tiepolo, tandis que, derrière elle, le bronze corinthien de la grille rendait en se fermant un son clair comme celui d’une clochette, qui se propageait en longues vibrations dans la concavité de la voûte. Elle fuyait, éperdue, comme si tout le palais menaçait de s’écrouler sur elle, et que la lumière fût sur le point de manquer, et qu’elle craignît de se trouver seule dans les ténèbres, avec ces fantômes de malheur et de mort. Et lui, marchant dans l’air agité par cette fuite, entre ces murailles lourdes de reliques et de spectres, derrière l’actrice fameuse qui, sur toutes les scènes du monde, avait simulé la fureur des passions mortelles, les efforts désespérés de la volonté et du désir, le conflit violent des sorts superbes, il perdait la chaleur de ses veines comme s’il eût cheminé dans une bise froide, sentait son cœur se glacer, son courage faiblir, sa raison de vivre perdre toute force, et se relâcher ses attaches avec les personnes et avec les choses, et chanceler et se dissiper les magnifiques illusions qu’il avait données à son âme pour l’exciter à se surpasser elle-même et à surpasser son destin.

— Sommes-nous encore vivants ? — demanda-t-il, quand ils furent à l’air libre, dans le parc, loin de l’affreuse odeur.

Et il prit la Foscarina par les mains, la secoua un peu, la