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LA REVUE DE PARIS

regarda au fond des prunelles, essaya de sourire ; puis il l’entraîna vers le soleil, sur l’herbe du pré.

— Quelle tiédeur ! Sens-tu ? Comme l’herbe est bonne !

Il ferma les yeux à demi pour recevoir sur ses paupières les rayons lumineux, subitement repris par la volupté de vivre. Elle fit comme lui, séduite par le plaisir de son ami ; et, entre ses cils, elle regardait cette bouche fraîche et sensuelle. Ils restèrent ainsi quelques instants sous la caresse du soleil, les pieds dans l’herbe, les mains dans les mains ; et, au milieu du silence, ils sentaient palpiter leurs veines comme les ruisseaux qui se font plus rapides quand vient le dégel, au printemps. Elle repensa aux Monts Euganéens, aux villages rosés comme les coquilles fossiles, aux premières gouttes de la pluie sur les feuilles nouvelles, à la fontaine de Pétrarque, à toutes les gentilles choses.

— La vie pourrait encore être douce ! — soupira-t-elle, d’une voix qui fut le miracle de l’espérance prête à renaître.

Le cœur de l’aimé fut comme un fruit qu’un rayon miraculeux mûrirait tout à coup. La bonté et le délice inondèrent son âme et sa chair. Une fois encore il jouit de l’instant présent comme si c’était le dernier de sa vie. L’amour fut exalté au-dessus du destin.

— Tu m’aimes ? Dis !

Elle ne répondit pas ; mais elle ouvrit de grands yeux et elle eut dans le cercle de ses iris l’immensité de l’Univers. Jamais l’amour immense ne fut signifié d’une façon plus puissante par une créature terrestre.

— Elle est douce, elle est douce, la vie avec toi, pour toi, hier comme demain !

Il paraissait enivré d’elle, du soleil, de l’herbe, du ciel divin, comme de choses jamais vues, jamais possédées. Le prisonnier qui, à l’aube, sort de la prison étouffante, le convalescent qui regarde la mer après avoir regardé la mort, sont moins enivrés qu’il ne l’était.

— Veux-tu que nous partions ? Veux-tu que nous laissions derrière nous la mélancolie ? Veux-tu que nous allions dans des pays qui n’ont pas d’automne ?

« Il est en moi, l’automne ; et partout je l’emporterai avec