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LA REVUE DE PARIS

forter. La simultanéité de son récent désir et de cette divination soudaine l’avait frappé profondément.

— Attends, attends un peu ! Je tâcherai de retrouver la sortie. J’appellerai quelqu’un…

— Tu t’en vas ?

— N’aie pas peur, n’aie pas peur. Il n’y a aucun danger.

Tout en parlant ainsi pour la rassurer, il comprenait l’inutilité de ce qu’il disait, le désaccord entre cette risible aventure et l’obscure émotion née d’une cause bien différente. Et lui aussi, maintenant, il avait en lui-même l’étrange ambiguïté par où ce petit événement se présentait avec deux aspects confondus : car, sous son inquiétude, persistait une envie de rire qu’il réprimait, si bien que cette souffrance lui était nouvelle comme certaines angoisses qui naissent de l’extravagance des rêves.

— Ne t’en va pas ! — suppliait-elle, sous l’empire de son hallucination. — Là, au tournant, nous nous rencontrerons peut-être. Essayons ! Prends-moi les mains.

Par une trouée, il lui prit les mains ; et il tressaillit en les touchant, tant elles étaient froides.

— Foscarina ! Qu’as-tu ? C’est vrai, que tu ne te sens pas bien ? Attends ! Je vais enfoncer la haie.

Il entreprit de forcer le fourré, brisa quelques branches ; mais l’entrelacs résistait, très robuste. Il se blessa inutilement.

— C’est impossible !

— Crie ! Appelle quelqu’un !

Il cria dans le silence. Les cimes des hautes parois végétales s’étaient éteintes ; mais, dans le ciel supérieur, se répandait une rougeur pareille à une réverbération de bois incendiés sur l’horizon. Une troupe de canards sauvages passait, rangée en triangle, les cous tendus, noire.

— Laisse-moi m’en aller ! Je retrouverai la tour facilement. J’appellerai. On entendra mes cris.

— Non ! non !

Elle entendit qu’il s’éloignait, suivit le bruit de ses pas, s’égara de nouveau dans les méandres, se trouva de nouveau seule et affolée. Elle s’arrêta. Elle attendit. Elle prêta l’oreille. Elle regarda le ciel, vit le grand vol triangulaire disparaître