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LE FEU

dans le lointain. Elle perdit le sentiment de la durée. Les secondes lui semblèrent des heures.

— Stelio ! Stelio !

Elle n’était plus capable d’autres efforts pour vaincre le désordre de ses nerfs exaspérés. Elle sentait venir la crise extrême de la folie, comme on sent le tourbillon qui s’approche.

— Stelio !

Il entendait cette voix d’angoisse, et continuait anxieusement sa recherche par les chemins sinueux qui tantôt le rapprochaient et tantôt l’éloignaient de la tour. Le rire s’était glacé dans son cœur. Toute son âme tremblait jusqu’aux racines, chaque fois que lui arrivait à l’oreille son nom proféré par cette invisible agonie. Et la graduelle diminution de la lumière lui offrait l’image du sang qui coule, de la vie qui défaille.

— Je suis là ! je suis là !

Un des sentiers le conduisit enfin à la place où s’élevait la tour. Il monta furieusement l’escalier en limaçon. Parvenu au sommet, il eut le vertige, s’accrocha aux balustres, ferma les yeux, les rouvrit : il aperçut à l’horizon une longue zone de feu, le disque de la lune sans rayons, la plaine semblable à un marais livide, le labyrinthe au-dessous de lui, avec ses buis noirâtres, avec les taches qu’y faisaient les charmilles, étroit malgré ses interminables circonvolutions, ayant l’aspect d’un édifice démantelé et envahi par les broussailles, semblable à une ruine et à un hallier, sauvage et lugubre.

— Arrête-toi ! arrête-toi ! Ne cours pas ainsi ! Quelqu’un m’a entendu. Un homme vient. Je le vois qui vient. Attends ! Arrête-toi !

Il regardait cette femme qui, comme une démente, tournait en courant par les sentiers obscurs et trompeurs ; comme une créature condamnée à un vain supplice, à une fatigue inutile mais éternelle, sœur des martyres fabuleuses.

— Arrête-toi !

Il semblait qu’elle n’entendît pas, ou qu’elle ne pût maîtriser son agitation fatale, et que lui-même ne pût la secourir, mais qu’il dût rester là, témoin de ce châtiment terrible.

— Le voici !