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LE SOVIET DE PÉTROGRAD

Cette révolution n’a pas été l’œuvre unique de la Douma. La lutte de cette dernière contre le gouvernement tsariste, le duel de Milioukoff contre les ministres du tsar l’ont préparée, il est vrai ; mais elle a éclaté dans la rue. La Douma avait espéré canaliser le mouvement et faire accepter à Nicolas II un régime parlementaire à l’occidentale ; elle s’était ralliée à une monarchie constitutionnelle par l’organe de son président Rodzianko ; elle avait négocié jusqu’à la dernière minute avec la dynastie. Mais la Révolution, triomphante dans la rue, était déjà un fait accompli à Pétrograd quand les délégués de la foule se présentèrent au palais de Tauride pour demander à la Douma de se joindre au mouvement et même de se placer à leur tête.

De qui se composait cette foule ? D’abord de bourgeois, hommes et femmes, qui protestaient contre la famine et contre le gâchis de l’approvisionnement ; puis d’ouvriers qui s’étaient mis en grève pour soutenir la Douma que l’ancien régime venait de suspendre ; puis de soldats qui, au lieu de réprimer la révolte populaire, fraternisaient avec la foule et l’avaient aidée à venir à bout de la police montée, des agents de police et des mitrailleuses préparées par Protopopoff, lequel espérait, par un acte de provocation, pousser à l’émeute la foule et, à la faveur de la répression, décimer les forces organisées de la démocratie et la Douma elle-même.

Ce mouvement était d’abord désordonné et chaotique, laissé à lui-même par la Douma qui cherchait la solution ailleurs ; les chefs des partis socialistes en prirent la direction, et ils agirent d’après les précédents de la crise de 1905, en créant immédiatement un Conseil des Ouvriers. On ignore généralement qu’en octobre 1905, au milieu de la formidable grève des chemins de fer qui arracha à Nicolas II la charte constitutionnelle, un Conseil des Ouvriers s’était formé et avait essayé de diriger le mouvement gréviste. Ce Conseil eut un moment de puissance ; il parla d’égal à égal avec le comte de Witte, mais il échoua quand, abandonnant le terrain politique, il tenta de faire une révolution économique. Le Conseil fut alors décimé par des poursuites, et la crise avorta lamentablement en décembre sur les barricades de Moscou, où se fit sentir déjà l’action de Lénine.