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SOUVENIRS ET PORTRAITS

mier jouait au stoïcien, le second à l’épicurien ou au cynique. C’est sous ces deux puissances effrayées l’une de l’autre que palpitait l’Alsace, effrayée de toutes deux.

Comme la révolution avait deux grands-prêtres à Strasbourg, elle y avait deux temples consacrés à ses redoutables mystères, la société populaire, épurée par Saint-Just, et la Propagande de Schneider. On n’a pas connu cette nuance à Paris même. On a vu les Cordeliers disputer le pouvoir aux Feuillans, et les Jacobins triompher des Feuillans et des Cordeliers, mais personne ne s’avisa d’y enchérir sur les Jacobins. Le ressort de la Propagande se brisa trop tôt pour cela.

La première leçon que je reçus de mon professeur de grec fut la défense de visiter cette société populaire, infectée des mauvais principes du modérantisme conventionnel. Young insista sur la nécessité de me nourrir des précieux enseignemens de la Propagande, et il appuya cette opinion de quatre vers d’une de ses odes, que Schneider s’empressa de traduire à mon usage, et qui se sont conservés sans altération dans ma mémoire. On le comprendra aisément :

 « Il faut que l’enfant lui-même quitte le sein pusillanime de sa mère,
Qu’il s’ébatte sur le cercueil d’un tyran avec plus de joie que dans son berceau,
Qu’il agite pour hochets des ossemens et des sceptres rompus,
Et qu’il suce le lait héroïque, le lait sanglant de la liberté. »

Ces recommandations étaient d’autant plus pressantes, que le citoyen Schneider allait me laisser long-temps abandonné à moi-même et aux soins de Mme Tesch. Les triomphes de Pichegru, qui reconquérait nos frontières en courant, et qui débarrassait le pays de ses ennemis extérieurs, dans le temps physique dont ils avaient besoin pour fuir ou pour mourir, le laissaient malheureusement ouvert à d’autres ennemis plus dangereux pour la liberté que tous les