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DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE.

volution. Je me rendais un compte vague de ces idées, pendant que la conversation me révélait peu à peu les passions effrayantes de cette génération de malheur. En vérité, j’ai compris depuis que les événemens sont bien plus forts que les caractères, et que si certains hommes ont brisé les peuples dans leur passage, c’est qu’ils ont été poussés par une puissance non moins irrésistible que celle qui déchire les volcans, et qui précipite les cataractes. Chez une nation qui a usé le frein de ses lois accoutumées, ou qui l’a rompu, il en est de chaque individu en particulier comme de la nation tout entière. Il va, il va, il ne sait pas où il va.

Je prenais bien peu de part à ce formidable échange de pensées de mort, où tout le monde entrait pour son intérêt personnel, et qui étaient alors de droit défensif ; mais cela montait mes idées, comme aurait dit Edelman, à un diapason extraordinaire. Cette alternative de mourir ou de faire mourir, cette question d’assassinat réciproque, devenue un dilemme pressant, dont la solution pouvait avoir lieu le lendemain ; cette horrible loterie de têtes, dont on balançait froidement les chances douteuses, et où chacun des interlocuteurs avait un enjeu encore voyant, parlant et rempli de vie, cela est exécrable à penser. Le dîner fut extrêmement gai.

Ce que je pus saisir dans un entretien si extraordinaire pour moi, c’est que les révolutionnaires de Strasbourg s’étaient partagés sous deux drapeaux. L’un était celui des nouveaux hommes d’état, représentés dans la Convention nationale par Robespierre, et dans le département du Bas-Rhin par Saint-Just. Qui ne frémirait de penser aujourd’hui que Robespierre et Saint-Just étaient modérés aux yeux de quelques hommes élevés dans ces belles et nobles études qu’on a si justement appelées humaines, et qui améliorent le cœur, en éclairant l’esprit… ?

L’autre était porté par Schneider, qu’une logique d’extermination, qui passait de bien loin les doctrines aveugles et stupides de Marat, avait poussé aux dernières conséquences de ce fanatisme anti-social. Cependant le modéré (je dois répéter que c’était Saint-Just) affectait au moins une grande austérité de mœurs ; et le capucin de Cologne était ami de la joie et de la volupté. Le pre-