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Page:Revue de Paris - 1832 - tome 40.pdf/290

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Jenny fut saisie d’un sentiment de dégoût, et elle se leva pour s en aller. Melchior reprit, sans paraître s’en apercevoir :

« Si j’ose vous dire cela, Jenny, c’est parce que vous n’êtes point une femme pour moi, et que jamais la pensée ne m’est venue…

— Je vais rejoindre mon père qui doit être éveillé, » répondit-elle. Et Jenny alla s’enfermer dans sa cabine pour y pleurer encore.

Après quelques jours de découragement, elle revint à se dire que Melchior pouvait être capable d’aimer une femme digne de lui ; et elle se demanda humblement si elle était cette femme. Elle ignorait, l’innocente Jenny, quelle immense supériorité la distinguait de toutes celles que Melchior avait pu rencontrer. Son cœur était si candide, si modeste, qu’il s’amusait sans cesse du peu de succès de ses tentatives. Elle se blasphémait elle-même en reprochant à la nature les formes sveltes et nobles, la beauté toute chaste, tout anglaise, que sa mère lui avait transmise. Elle maudissait ce coloris septentrional que le soleil de l’Inde et le hâle des brises maritimes ne pouvaient ternir, cette ceinture délicate qu’une. Géorgienne eût regardée avec dédain, et jusqu’à ces blanches mains qu’une Indoue eût peintes en rouge. Elle n’avait point habité la contrée où elle devait être belle, et s’imaginait ne pas l’être pour Melchior.

Elle craignait aussi de manquer d’esprit ; elle oubliait que l’habitude de lire et de méditer lui avait ouvert un cercle d’idées plus élevées que celles de cet homme nativement bon et brave, mais auquel il manquait de savoir la raison de ses qualités. Elle le voyait au travers de son ancien enthousiasme pour la chimère de l’avenir, et le plaçait bien haut pour s’épargner un mécompte. Enfin elle se reprochait comme autant de défauts toutes les qualités que Melchior n’avait pas, ne devinant même pas que l’amour qu’elle éprouvait et celui qu’il n’éprouvait pas faisaient d’elle une femme complète et de lui un homme incomplet.

Tandis qu’elle souffrait de l’alternative d’espoir et de découragement où la jetait chacun de ses entretiens avec Melchior, tandis qu’incertaine et, déchirée elle luttait tantôt contre l’indifférence de son amant, tantôt contre son propre amour, James Lockrist, dont l’intelligence de nabab se refusait à saisir toutes les subtilités de l’amour chez une jeune fille, lui faisait subir une sorte de persécution pour qu’elle eût à se prononcer. Son rôle à lui devenait de plus en plus difficile dans tous ces mystères de cœur, auxquels il n’entendait rien. Il avait vu d’abord cette intimité avec plaisir, mais lorsqu’au bout de trois mois il voulut en savoir le résultat,