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Page:Revue de Paris - 1832 - tome 40.pdf/292

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croire ce sentiment possible chez les autres ; il se dit qu’une femme comme Jenny était digne de l’inspirer, et il s’estima beaucoup moins qu’il n’avait fait jusqu’alors ; car il se convainquit par la comparaison qu’il était beaucoup au-dessous d’elle.

Peut-être que la conscience de la nullité est le premier pas vers un noble essor. Les sots ne l’ont jamais. L’ignorance se passer longtemps de modestie ; mais si elle vient un jour à rougir d’elle-même, elle n’est déjà plus l’ignorance.

Melchior n’eut pas plus tôt placé Jenny à son véritable point de vue par rapport à lui qu’il devint moins indigne d’elle ; mais les émotions toutes nouvelles qui s’éveillèrent en lui des lors troublèrent sa conscience pour des motifs dont elle seule avait le secret.

Il résolut d’éviter la présence de sa cousine ; il se croyait très-fort parce qu’il n’avait jamais fait l’expérience de sa force en de semblables combats ; mais c’était une entreprise plus difficile qu’il ne s’était imaginé. À son insu le mal avait envahi bien du terrain. Un jour, il fit un effort héroïque : ce fut de se vanter encore à Jenny de son mépris pour ce qu’elle appelait l’amour ; mais au moment où il énonçait ce sentiment, un sentiment si contraire se révélait hautement à son ame, qu’il s’éloigna brusquement, et se livrant à un ordre de réflexions qu’il n’avait jamais faites, il fut épouvanté de sentir en lui deux volontés opposées, deux besoins absolument contraires ; il s’éveilla comme d’un profond sommeil, et se demanda comment il avait vécu vingt-cinq ans sans savoir des choses si positives et si simples.

Bien rarement nous arrivons a la force de l’âge sans avoir abusé de notre première énergie, émoussé nos passions, gaspillé cette sensibilité virginale si précieuse et si fragile. L’éducation développe en nous, dès les jours de l’adolescence, une ardente curiosité et souvent même de faux besoins du cœur. Dans une littérature dont le but semble être de poétiser le désir et d’aiguiser l’amour, nos imaginations précoces ont puisé, beaucoup trop tôt peut-être, le rêve des grandes affections. Il en est résulté qu’en demandant à la vie ses joies inconnues, nous n’avons joué sur la scène réelle qu’une parodie amère ; nous n’avons recueilli que honte et douleur là où nous arrivions pleins de séve, guidés en même temps qu’abusés par les traditions des temps poétiques, des amours perdus. Nous avons pitoyablement dépensé nos aveugles richesses ; nous avons donne, de notre cœur à pleines mains et à tout le monde. Aussi nous sommes