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Jenny eut peur ; elle voulut fuir, puis elle pleura, et revint en sanglottant se jeter à son cou.

— Parle-moi, Jenny, parle-moi, dit Melchior d’une voix étouffée. Il me semble que quand je t’écoute je suis mieux. Dis-moi que tu m’aimes ; dis-le moi, afin que j’aie vécu au moins un jour.

— Oui, je t’aimais, dit la jeune fille, et je t’aime encore, méchant. Pourquoi semble-tu en douter ? Je t’aimais alors même que tu méprisais cet amour caché dans mon cœur. Je t’aime encore mieux aujourd’hui, que j’ai vu s’ouvrir à moi ton ame virile ; et puis encore, pour ton humble estime de toi-même, pour ta résistance loyale, pour ta fidélité à la foi urée à mon père, pour le mépris que tu as des richesses, pour l’amour que tu portes à ta mère, pour combien de vertus ignorées de toi, ne t’aimai-je pas, Melchior ?

— Ah ! laissez, laissez, Jenny, dit-il en cachant sa tête dans ses mains ; ne me vantez pas ainsi : vous me faites rougir jusqu’au fond de mes entrailles. Ah ! c’est que vous ne savez pas, Jenny ; je n’étais pas digne de vous ; vous ne pouvez pas, vous ne devez pas m’aimer. Ce ne sont pas toutes ces vertus qui me forçaient au silence. Je… je ne vous aimais pas ; j’étais une brute, un misérable ; je ne voulais pas vous comprendre ; je me croyais un cœur d’homme au-dessus de ces faiblesses-là. Je vous ai dédaignée, Jenny ; vous devriez vous le rappeler, et ne pas me le pardonner ainsi. Non, Jenny, il ne faut pas me le pardonner…

L’infortuné éludait le motif, le terrible motif de sa résistance. Jenny se plaisait toujours à l’espoir de la vaincre. « Je sais tout, lui disait-elle ; vous étiez un grand enfant ; vous ne saviez rien de toutes ces choses que l’éducation m’avait apprises. Oh ! moi, je vous avais rêvé depuis longtemps. J’étais de beaucoup moins grande que je ne suis maintenant, et déjà je vous demandais à l’avenir. J’étais si seule, si mélancolique ! Si vous saviez dans quels ennuis, dans quelles douleurs j’ai vécu ! et puis dans quel isolement affreux je me suis trouvée après que tous mes frères eurent disparu tour à tour ! Comme le désespoir de mon père me navrait, comme ses larmes retombaient sur mon cœur ! Alors je sentis le besoin d’avoir un appui, un frère qui m’aidât à le consoler ; mais nul de ceux qui s’approchèrent ne répondit à mon attente. Ils ne voyaient en moi, ces hommes à l’ame étroite, que l’héritière du nabab. Aucun ne se mit en peine de comprendre Jenny. Alors, mon ami, je priais chaque soir mon ange gardien de t’amener vers moi. J’appelais un cœur noble, généreux comme le tien.