Page:Revue de Paris - 1835 - tome 23-24.djvu/552

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
182
REVUE DE PARIS.

à quelque personne que ce fût dont les principes moraux fussent purs, ou dont l’esprit fût cultivé, qui ne lui refusât même ce degré de réputation que nos meilleurs critiques se sont montrés disposés à lui accorder. Je pourrais dire que la France paraît rougir de lui. Mainte fois il m’est arrivé de demander ce que l’on pensait de telle ou de telle de ses pièces, et la réponse qu’on m’a faite a toujours été :

— Je vous assure que je n’en sais rien ; je ne l’ai jamais vue jouer.

— L’avez-vous lue ?

— Non ; je ne saurais lire les ouvrages de Victor Hugo.

Une personne qui m’avait entendu persister dans mes questions au sujet de la réputation dont Victor Hugo jouissait à Paris comme homme de génie et comme écrivain dramatique, me dit un jour qu’elle voyait bien qu’avec la plupart des étrangers, et surtout des Anglais, je regardais Victor Hugo et ses ouvrages comme une sorte de type ou d’échantillon de la France d’aujourd’hui.

— Mais permettez-moi de vous assurer, ajouta-t-il gravement et sérieusement, que jamais idée ne fut plus erronée. Il est à la tête d’une secte ; il est pontife d’une société qui a aboli toutes les lois morales et intellectuelles par lesquelles les efforts de l’esprit humain ont été jusqu’à présent réglés. Il a atteint cette prééminence, et je me flatte que personne ne se présentera pour la lui disputer. Mais Victor Hugo n’est point un écrivain dont les ouvrages soient populaires en France.

Tel est le jugement que, dans ces termes ou dans d’autres équivalens, j’ai entendu prononcer sur lui par neuf personnes d’entre dix à qui je me suis adressée, et je regarde cela comme une preuve de rectitude d’esprit et de bon goût qui fait honneur aux Français. J’en ai été d’autant plus charmée que je ne m’y attendais pas. Il y a tant de faux brillant dans ses écrits, joint à tant de véritable éclat par intervalle, que je croyais certainement trouver les personnes jeunes, et par conséquent peu réfléchies, pleines d’admiration pour cet écrivain.

Son amour pour les tableaux de vice et d’horreur, et son profond mépris pour tout ce que le temps a consacré comme bon, soit en matière de goût, soit en morale, pouvaient, à ce que je pensais, s’attribuer à l’esprit inquiet du siècle, et devaient infailliblement, d’après cela, obtenir la sympathie et les éloges de ceux qui eux-mêmes avaient déchaîné cet esprit.

Mais cela n’est pas. On reconnaît la sauvage vigueur de quelques-unes de ses descriptions, mais c’est là le seul éloge que j’aie entendu faire des productions de Victor Hugo dans le pays qui lui a donné le jour.