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REVUE DE PARIS.

prendra beaucoup. Lorsque vous le connaîtrez, vous en resterez ébahi… Tenez, justement le voici. Ma foi, il arrive on ne peut plus à propos, comme un personnage de comédie.

Une jeune fille, accompagnée de plusieurs hommes à mine plus ou moins hétéroclite, entrait en effet en ce moment.

— Très bien, très bien, messieurs, leur dit-il ; je vous fais compliment, vous êtes gens de parole.— Puis il ajouta en me désignant :

— J’ai l’avantage, messieurs, de vous présenter un nouveau compagnon, M. le comte de Brederode, seigneur hollandais, qui daigne m’honorer de son amitié. Messieurs, je vous réponds de lui comme de moi ; c’est un bon et brave gentilhomme, aussi loyal que son épée. Vous, mademoiselle, approchez et saluez M. le comte, poursuivit notre prieur, prenant la jeune fille par la main. Et vous, monseigneur, murmura-t-il à mon oreille, rendez hommage au terrible nécromancien.

— Terrible ! répétai-je, ouvrant de grands yeux et toisant la belle inconnue. Non, sur l’honneur, une personne aussi séduisante, aussi accomplie, bien loin de m’inspirer de l’effroi, me mettrait volontiers de doux sentiments dans le cœur, et certes je m’estimerais fort heureux d’entrer en commerce avec une si ravissante Circé.

— Suzanne, cher comte, fait pourtant trembler le diable, ainsi que vous le verrez bientôt.

— S’il tremble, le vieux mécréant, ce n’est, je gage, que d’attendrissement, repartis-je.

Puis, m’adressant à Suzanne :

— Or ça, confiez-moi, ma belle enfant, lui dis-je, qui vous a si bien instruite en diablerie et en magie ?

— Cette science, monsieur, est héréditaire dans notre famille ; mon père était le plus habile sorcier des Landes. Bien qu’il ne fit qu’un simple berger, cent fois il fit descendre la lune et danser le soleil.

— Sandis ! m’écriai-je, ceci, ma colombe, se sent un peu de la Garonne. Sans être trop curieux cependant, je donnerais bien dix bons louis d’or de bon aloi pour savoir au juste, belle enchanteresse, quelle descente faisait la lune, et pour avoir l’air noté du menuet que dansait l’astre du jour.

Mais, sans me donner le temps de poursuivre ma plaisanterie, le prieur, m’ayant engagé à prendre la main de la jeune évocatrice, m’invita, ainsi que toute la compagnie, à passer dans l’arrière-salle du cabaret, où un fin et copieux souper nous était servi.