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REVUE DE PARIS.

Le bon moine n’était pas sans crédit auprès de l’hôtesse, et d’ailleurs ce n’était, disait-il, qu’un à-compte pris par avancement d’hoirie sur le gros trésor qui nous attendait dans la grotte d’Arcueil.


III.


Le repas fut des plus joyeux. La pitance ne fut pas ménagée, ni surtout le vin ; mais le maraud, quand on ne le ménage pas, ne nous épargne guère : il a bientôt mis à l’envers cette raison humaine dont nous sommes si fiers. Quand je dis à l’envers, je parle dubitativement, et je suppose, ce qui est certainement fort contestable, qu’elle est ordinairement à l’endroit. C’est une chose vraiment merveilleuse que la puissance du vin ! elle sait en un instant nous faire un âne du lion le plus superbe. Un génie homérique qui dominerait tous les génies, une raison à la Descartes qui surpasserait toutes les raisons, avec une cruche de jus de raisins vous l’anéantissez. Avec six sous d’alcool, vous enlevez à un Blaise Pascal toute sa logique, et pour un petit écu d’hydromel ou de marasquin, vous faites d’un élégant M. Regnard un chien couché sous une porte.

Mais revenons à nos sorciers, que nous retrouvons aimables et tout remplis d’une gaieté apportée de la cave, comme nous l’avons dit. La conversation s’était échauffée ; c’était un bruit à rendre sourd, un véritable désordre.

— Il est bien convenu, criait l’un, que le partage sera fait également entre tous.

— En vérité, reprenait l’autre, si le trésor est aussi riche qu’on nous l’assure, et si la part de chacun est énorme, je ne sais, foi d’honnête homme, ce que je pourrai faire de la mienne.

— La chose pourtant n’est pas embarrassante, répliquait le prieur pour mon compte, cela ne m’inquiète guère. J’en ferai… que sais-je ?… bâtir une chapelle…, ou plutôt un couvent délicieux, que j’emplirai de nonnes fraîches et bien choisies. Et comme directeur et fondateur, il va sans dire que je m’y réserverai mes grandes et petites entrées.

— J’approuve fortement ce ravissant dessein, et je l’imiterais volontiers, mon révérend, si je n’étais laïque, dis-je alors moi-même pour prendre part à cette folie générale, qui commençait sérieusement à me divertir.