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REVUE DE PARIS.

tagne accoucher d’une souris, se trouvèrent fidèlement au rendez-vous.

Le programme, cette fois, avait été totalement changé. Ce n’était plus au cabaret de la Grève qu’avait dû s’effectuer notre rassemblement, mais à minuit, hors des murs de la ville, à la porte Gibard ou d’Enfer, dans l’enclos abandonné d’une ancienne tuilerie, et à jeun.

À jeun ! oui, à jeun ! notre révérend mystagogue l’avait voulu ainsi, attribuant à notre turbulence et à notre état d’ébriété le peu de succès de nos précédentes tentatives. Quant à moi, en ma qualité d’incrédule et de simple frère visiteur, trouvant que c’était bien assez de suivre le Décalogue de l’église et de faire vigile pour la saint André ou la saint Jean, je m’étais lesté l’estomac en tapinois d’un flacon de Bourgogne, d’un bon plat de fèves, et d’un quartier d’agneau.

Après beaucoup de discours préparatoires, d’exhortations et de remontrances répandus chemin faisant par notre vénérable prieur, qui semblait renouveler le miracle de la multiplication, non pas des pains, mais des paroles, nous arrivâmes à notre mont Circéen. Tout, aux alentours, était calme et paisible. Nous n’entendîmes ni les aboiements horribles des compagnons d’Ulysse changés en loups et secouant leurs chaînes dans les lucus sacrés, ni bruissement, ni épouvante. La nature entière paraissait prêter à notre marche insinuante et flexueuse l’attention d’un entomologiste qui surveille les pérégrinations de quelques insectes.

Le ciel, d’un bleu lazulique, tout moucheté et tacheté d’étoiles du zénith à l’horizon, avec l’écharpe blanche de la voie lactée suspendue à sa voûte, formait frises et toile de fond de la plus grande splendeur. De grandes masses d’arbres irrégulières et sombres, dans lesquelles quelquefois nous pénétrions, simulaient des coulisses naturelles bien profilées ; le rossignol chantait à la cantonade. Jamais, certes, action humaine, tragique ou sainte, n’avait eu un théâtre plus magnifique, un lieu de scène plus grandiose. Mais Dieu a dit au serpent : tu ramperas sur la terre ; à l’homme : tu travailleras ; au ridicule : tu te mêleras au sublime ; — c’est la loi.

Qu’étions-nous en effet ?… Quelques désœuvrés et quelques dupes allant grotesquement demander au sein de la terre le paiement d’une somme qu’elle ne nous devait pas ; au sein de la terre, à cet asile éternel et négatif, abîme de discrétion et de silence, la trahison d’un secret ! Autant eût valu demander à maître Jean d’Anspach de délier le cordon de sa bourse.