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REVUE DE PARIS.

À deux heures du matin, nous étions enfin rangés devant l’entrée de la caverne, tous dans le recueillement, tous un genou en terre, tandis que notre prieur, prosterné, répétait ces trois paroles, auxquelles il attachait sans doute un sens sacramentel : Rorate cœli desuper.

Suzanne, debout au milieu du groupe, dans une sorte d’état extatique, semblait la veuve de Béthulie chantant le cantique d’action de grâces sur la montagne.

Elle était vraiment belle, cette jeune devineresse, avec sa stature ample et pittoresque, ses traits droits et fermes, ses yeux lumineux, son teint pâle, sa forêt de cheveux noirs roulés en turban avec grâce et négligence autour de la tête et garnis, en guise d’ornements, de sequins d’or attachés parmi les tresses.

Tous les ajustements, toutes les toilettes lui seyaient à ravir, à cette fille d’Eve, cela est vrai ! Elle était charmante, comme nous avons pu le remarquer, dans toutes les phases du costume ; cependant, je ne pouvais m’empêcher de proclamer dans mon cœur que cette nuit Suzanne se surpassait elle-même. On eût dit une de ces grandes créatures des anciennes races du monde, une courtisane de Babylone ou de Tyr, une prophétesse d’Hermopolis ou de Jephé.

Un beau justaucorps ou vertugadin de soie à larges raies, couleur d’orange et d’améthyste, faisant un jeu de lignes et se rencontrant sur les coutures en pointe de flèche, prenait étroitement le galbe de sa taille comme un damas tendu sur le fût délicat d’une colonne. De ce corsage collant et serré, tout garni de ganses d’or, s’échappait à grandes nappes, ainsi que les lames d’eau d’une fontaine, une jupe de moire qui ondulait aux reflets de la lune et descendait baigner et voiler mystérieusement ses pieds si mignons, chaussés d’une pantoufle orientale.

Tout au bas de son beau col, qui se balançait comme un rameau gracieux, s’enroulaient plusieurs tours d’un collier de grosses perles ; ces perles brillantes paraissaient s’incruster dans le porphyre de ses épaules comme l’anneau de riches fusarolles qui resserre dans son cercle élégant la campane et les feuilles d’acanthe d’un chapiteau corinthien.

Dans ses mains, petites comme la fleur du lys, blanches comme le calice de l’azalea, elle tenait une baguette divinatoire qu’elle courbait négligemment en arc de chasse. Ô Suzanne, jamais Amazone, jamais Pantasilée elle-même fit-elle fléchir plus élégamment sa cravache sur le flanc de son coursier ? Jamais reine, noire ou blanche,