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REVUE DE PARIS.

pèce d’avant-cour que formaient le château et l’équerre de ses deux ailes.

« Je reconnus alors parfaitement mon bon oncle dans son costume de chartreux, qui lui donnait l’air d’un véritable fantôme.

« Il portait à la main la lanterne dont j’avais aperçu de loin le pâle reflet dans les taillis du parc, et qui répandait sur sa barbe, sur les grands plis de sa robe, à quelque distance autour de lui, une sorte de brouillard lumineux, semblable à l’auréole blafarde qui environne le disque de la lune quand le ciel est brumeux.

« Mon oncle traversa la cour, se dirigeant vers un perron qui se trouvait à l’angle du bâtiment principal, ouvrit une petite porte basse et cachée, dont les battants étaient peints de la couleur du mur, mit le pied sur le seuil, et, après avoir jeté un coup d’œil inquiet autour de lui, entra et disparut dans l’épaisseur du guichet.

« J’entendis les ais de la porte se joindre, un grand remuement de ferraille et de serrures, puis ce bruit sinistre cessa, et je me retrouvai seul sur le balcon de ma lucarne, perdu dans cette paix profonde qui règne à cette heure dans les campagnes, seul, en proie à toute une multitude de pensées, par une de ces belles nuits d’été où la nature entière semble s’être endormie dans les caresses de l’amour.

« Mais que diable mon oncle avait-il été faire dans le parc avec sa lanterne ? Comme la belle Zoraïde, qui la nuit se rencontrait avec un jeune chevalier maure sous les rosiers blancs de l’Alhambra, le bonhomme avait-il des entrevues secrètes, à la faveur des ténèbres, sous la ramée de son jardin ?

« S’arrachait-il ainsi d’habitude à son repos et à son sommeil pour se livrer à ce genre de promenade assez funèbre, ou n’était-ce qu’une sortie amenée par quelque hasard ? Cela m’intrigua quelques instants, puis j’oubliai bientôt cet incident vulgaire, et, l’aube commençant à gagner l’horizon et à effacer sous une couleur assez fade les grandes ombres de la nuit, je retournai m’étendre sur ma litière d’herbe sèche, sur laquelle, cette fois, je m’endormis profondément.

« A quelque temps de là, mon oncle, à qui j’avais demandé le gîte, m’ayant comme de coutume enfermé galamment au-dessus des écuries, cela me remit en mémoire la scène nocturne dont je viens de parler.

« Médiocrement pressé par le sommeil, j’avais soupé, je crois, de deux noix et d’une poire, mes entrailles criaient famine ; je me dis : Voyons donc si décidément maître Jean, mon oncle, passe ses nuits