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REVUE DE PARIS.

à courir les champs comme un chat veuf ; — et je m’installai de mon mieux sur la plate-forme de la lucarne.

« Du haut de mon échauguette, comme un veilleur de nuit dans une ville de guerre, je plongeais de toutes parts dans la campagne, je dominais sur tout ce qui m’environnait, le jardin, les bâtiments, le parc, et il était impossible d’entrer ou de sortir du château sans passer à la portée de mon regard.

« C’était mal, certainement, ce que je faisais là ; c’était d’une grande indiscrétion. Ah ! que n’ai-je réprimé ce premier mouvement d’une curiosité coupable ! je n’aurais pas été amené à faire ce que j’ai fait depuis, je ne serais pas là aujourd’hui étendu sur ces dalles, n’ayant plus d’espoir que dans la mort, qui sera sans doute bien lente à venir et bien rebelle.

« À minuit environ, mon oncle Jean sortit avec précaution de la petite porte basse par laquelle je l’avais vu rentrer la fameuse nuit de ma découverte. Il avait à la main un falot comme la première fois ; il traversa la cour de même, gagna le jardin et le parc, semblant repasser exactement par le même chemin, mais en sens inverse. Enfin, la lueur que jetait la lanterne s’enfonçant de plus en plus dans l’épaisseur des taillis, je ne distinguai bientôt plus rien, je perdis toute trace. Bruit, ombre et lumière, tout avait disparu.

« Vive Dieu ! m’écriai-je, si mon oncle n’est plus dans la première verdeur, comme en revanche il est fidèle ! et la dame qui l’attend là-bas chaque nuit sous la feuillée, si dame il y a, doit être bien charmée de son exactitude ; car rien ne plaît tant aux dames que de trouver en leurs amants les vertus qui font les bons domestiques ! Un amant, c’est le laquais d’un cœur.

« À propos de laquais, moi, de mon côté, je me fis celui de ma curiosité, et j’attendis patiemment à ma lucarne le retour de mon oncle, comme un porteur de chaise attend à la porte d’un hôtel.

« Ah ! quand on court le guilledou, le temps a les ailes légères. Cependant le bonhomme ne s’oubliait pas dans son bonheur ; et comme une heure du matin sonnait, je le vis aussitôt paraître, du moins, veux-je dire, la lumière de son flambeau : l’amour va-t-il jamais sans une torche brûlante !

« Mais ce n’est pas bien de m’amuser ainsi à ce badinage. Mon oncle, un tel anachorète, si haletant et si caduc, s’occuper aux amours ! Le pauvre homme ! Ah ! plût au ciel mille fois qu’il fût aller bâiller la sérénade à sa belle !

« Tandis qu’il regagnait lentement, dans l’angle de la cour, la