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avait faites mille ans auparavant, voilà l’effort désespéré de Philon. On peut aussi comparer sa tentative à celle des scolastiques du xiiie siècle, encadrant le dogme chrétien dans la logique aristotélique. Moïse a été non seulement le meilleur des législateurs, mais le premier des philosophes. A la fois Grec et Juif, Philon veut gagner les Juifs à l’hellénisme et les Grecs au judaïsme. Sa sincérité d’helléniste et sa vanité de Juif sont ainsi à leur aise. Il n’a pas à déprimer une partie de sa foi pour exalter l’autre. Comment réussit-il en cette tâche impossible ? Naturellement, par des subtilités, en se permettant tous les à peu près. Le système des sens cachés, de l’allégorie, qui est presque toujours la revanche de la conscience libre, opprimée par le texte révélé, est poussé au comble de l’arbitraire. La pensée vraie de l’auteur sacré est tenue pour chose indifférente. Le texte est une matière à divagations. Persuadé que le livre sacré contient la plus haute vérité, Philon, derrière le sens littéral (le côté sensible), voit toujours le sens spirituel (le côté intelligible). L’autel et le tabernacle signifient les objets invisibles et intelligibles de la contemplation. L’Éden, c’est la sagesse de Dieu : les quatre fleuves sont les quatre vertus qui dérivent de cette sagesse. La pluie du ciel qui féconde la terre, c’est l’intelligence, qui, comme une source, arrose les sens, etc. Les esprits étaient si faussés que la signification propre paraissait mesquine, messéante, indigne de Dieu. On croyait servir Dieu en substituant aux choses tout ordinaires du texte des vérités transcendantes ou que l’on trouvait telles, des sens moraux, psychologiques, excellents sans doute, mais que l’auteur primitif n’avait pas eus en vue.

Si c’était là tout Philon, sa place serait dans l’histoire de la folie, non dans l’histoire de l’exégèse. Mais ce n’est pas tout, en vérité. Le cœur chez Philon valait mieux que l’esprit. L’amour du bien déborde en lui : son judaïsme est ouvert, universaliste. Sa langue philosophique est abondante et sonore. Le premier, il a dit des mots admirables, à la fois grecs et juifs, exprimant de très belles choses, et qui sont restés dans la tradition religieuse de l’humanité.

Philon, en effet, nous donne le premier exemple de l’effort qui sera souvent tenté pour réduire le judaïsme à une sorte de