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le retour d’imray

seline trempés et collés sur le corps, vint me dire qu’un monsieur était là, qui voulait voir quelqu’un. Comme les chambres étaient noires, je me décidai, bien contre mon gré, à entrer dans le salon démeublé. Je dis à mon homme d’apporter de la lumière.

Peut-être y avait-il quelqu’un, peut-être n’y avait-il personne dans la pièce. Je crus apercevoir un visiteur auprès d’une des fenêtres ; mais, quand les lampes furent allumées, on n’entendait que la pluie au dehors et on ne sentait que le parfum de la terre altérée d’eau. J’expliquai à mon domestique qu’il n’était pas plus intelligent qu’il ne faut, et je retournai sous la véranda parler à Tietjens.

Elle était dehors, sous la pluie, et je ne pus la décider à se rapprocher de moi, même avec des biscuits saupoudrés de sucre. Juste au moment du dîner, arriva Strickland ; il descendait de cheval, tout trempé. Ses premiers mots furent : « Est-il venu quelqu’un ? »

Je lui expliquai que mon domestique m’avait appelé au salon par une fausse alerte, ou qu’un flâneur quelconque était venu le voir, lui, Strickland, et s’était sauvé sans avoir dit son nom. Strickland ne fit pas de commentaire, et demanda le dîner. Nous nous assîmes à une table couverte d’une nappe blanche, sur laquelle était servi, en effet, un véritable dîner.

À neuf heures, Strickland voulut se mettre au lit ; j’étais fatigué aussi. Tietjens était couchée sous la table ; aussitôt que Strickland se dirigea vers sa chambre, voisine de celle qui était réservée pour elle, Tietjens se dirigea vers la véranda. Si une femme avait voulu coucher dehors par une pluie torrentielle, cela n’aurait pas eu d’importance ; mais Tietjens était une chienne, animal plus précieux. Je regardai Strickland, pensant qu’il allait la battre. Il sourit d’une façon singulière, comme on sourirait après le récit d’une hideuse tragédie domestique : « Elle fait cela, dit-il, depuis que je me suis installé ici. »

Comme c’était la chienne de Strickland, je ne dis rien, mais je compris ce qu’un pareil abandon lui faisait éprouver.

Tietjens campa dehors, sous ma fenêtre, et les orages se succédèrent en grondant sur le toit, puis s’éloignant. Les éclairs éclaboussaient le ciel : tel un œuf écrasé sur la porte