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la revue de paris

— Naturellement, dit Strickland, si vous avez peur des serpents… Je les déteste et je les crains : si vous regardez dans les yeux d’un serpent, vous verrez qu’il sait le comment et le pourquoi de la chute de l’homme, et qu’il ressent le mépris qu’éprouvait le Diable quand Adam fut chassé du Paradis. En outre, sa morsure est fatale, généralement, et déchire les pantalons.

— Vous devriez faire changer votre toit, lui dis-je. Donnez-moi une canne à pêche, et je vais taper dans la toile pour que les serpents tombent.

— Ils se cacheront dans la charpente, dit Strickland. Je ne peux supporter l’idée d’avoir des serpents au-dessus de ma tête. Je grimpe. Si je les secoue sur le plancher, prenez une baguette de fusil, et cassez-leur l’échine.

Malgré mon peu de goût pour ce travail, je n’osai refuser d’aider Strickland ; je pris la baguette de fusil et j’attendis dans la salle à manger, pendant que Strickland apportait l’échelle du jardinier, qui était sous la véranda, et l’appuyait contre un des côtés de la chambre. Les queues de serpents disparurent, et nous entendîmes le bruit sec de leurs corps longs rampant sur la toile gonflée. Strickland prit une lampe, tandis que j’essayais de lui démontrer le danger de sa chasse, et le risque qu’il courait de détériorer la maison et de crever le plafond de toile.

— Bah ! dit Strickland, les serpents se seront cachés près des murs, contre la toile. Les briques sont trop froides pour eux et la chaleur de la chambre est justement ce qu’ils aiment.

Il mit la main sur le coin de la toile et arracha de la corniche l’étoffe moisie. On entendit le bruit de la déchirure. Strickland passa la tête à travers la toile et pénétra dans le noir, à l’angle de la charpente. Je serrai les dents et je levai la baguette de fusil, prêt à tout événement.

— Hum ! hum ! dit Strickland, et sa voix faisait un bruit de tonnerre dans la toiture. Il y aurait de la place pour un autre étage ici, en haut… et… tiens, par Jupiter ! il y a déjà quelqu’un qui l’occupe !

— Des serpents ? criai-je d’en bas.

— Non, c’est un buffle… Donnez-moi les deux premiers morceaux d’une canne à pêche. Je vais le tâter… C’est sur la grosse poutre…