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le retour d’imray

rir… Qu’on se souvienne que les chemises de Sahib sont au complet et qu’il y a un morceau de savon resté sur sa toilette… Mon enfant a été ensorcelé et j’ai tué le sorcier. Pourquoi me tuer, moi ? Mon honneur est sauf… et… et… je… meurs !

Au bout d’une heure, il mourut comme meurent ceux qui meurent mordus par le petit kariat. Les hommes de police emportèrent Bahadur-Khan et la chose qui était sur la table.

C’était nécessaire pour expliquer la mystérieuse disparition d’Imray.

— Et cela s’appelle le dix-neuvième siècle ! s’écria Strickland en se mettant au lit. Vous avez entendu ce que disait l’homme ?

— Oui, répondis-je. Imray avait fait une bêtise.

— Tout simplement parce qu’il ne savait pas ce qu’il en est d’une petite fièvre de saison qui revient tous les ans… Bahadur-Khan était depuis quatre ans au service d’Imray.

Je frémis : mon domestique était chez moi depuis quatre ans. Quand j’entrai dans ma chambre, je le trouvai impassible comme la tête en relief sur une monnaie de cuivre. Il m’attendait pour m’ôter mes bottes.

— Qu’est-ce qui est arrivé à Bahadur-Khan ? lui dis-je.

— Il a été mordu par un serpent et il en est mort. Le Sahib sait le reste.

Telle fut la réponse que j’obtins à ma question.

— Et avez-vous des détails ?

— Autant qu’on peut en avoir de quelqu’un qui est venu regarder quand le jour tombait… Doucement, Sahib, laissez-moi retirer vos bottes.

Épuisé de fatigue, je commençais à m’endormir quand j’entendis Strickland me crier, du bout de la maison :

— Tietjens est rentrée dans sa chambre !

En effet, la grande chienne de chasse était couchée dans son lit, sur sa couverture ; et, à côté, la toile du plafond pendait vide, paresseuse, et remuait gaiement, effleurant la table.


RUDYARD KIPLING.
(Traduction de L. X.)