Page:Revue de Paris - 1894 - tome 2.djvu/666

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
202
la revue de paris

demanderaient-ils pas à Gustave Moreau, avec l’habillement magique de Brangæne, celui d’Yseult qui, sous aucun prétexte, ne doit être vêtue, pendant la traversée, en jeune dame qui part pour le bal, ni, dans la nuit des mortelles amours, en Marguerite qui va chanter au rouet ! — En un mot que, pour représenter Richard Wagner, ils wagnérisent, quelque peu du moins, l’Opéra de Paris ! Et il faudra bien que nous les félicitions, puisqu’ils auront fait tout leur possible.

Le terrible obstacle, c’est l’orchestre. Non pas l’orchestre même, égal sinon supérieur aux plus fameux de l’Europe, et qui fait, justement, l’admiration des maîtres de chapelle de l’étranger… mais le chef de cet orchestre. J’ai dit pourquoi. Ah ! une inspiration heureuse, et un beau courage, ce serait de ne pas remettre la direction de Tristan et Yseult à un musicien, si grand, si célèbre fût-il, qui n’aurait point consacré de longues années, sinon toute sa vie ! à l’étude obstinée, à la compréhension entière — je veux dire poétique autant que musicale — du plus extraordinaire, du plus périlleux de tous les chefs-d’œuvre tragiques. Point d’Allemands, certes, au pupitre de l’Opéra de Paris, quelle que soit l’autorité triomphante de M. Mottl, ou de M. Hermann Lévy. Mais, parmi les musiciens français, — j’entends parmi les nouveaux, — n’en est-il point de déjà considérables dans l’opinion publique, qui, par une longue accoutumance des œuvres wagnériennes — car il faut éviter le retour d’une récente mésaventure, — seraient en état de diriger savamment et passionnément, musicalement et poétiquement, l’orchestre de Tristan et Yseult ?

En ce qui concerne les acteurs-chanteurs, on peut affirmer que l’Opéra de Paris a de quoi nous assurer une exécution comparable et peut-être préférable à celles dont se targuent les plus grandes scènes allemandes. Si vous exceptez le très sûr, le très ardent Van Dyck, et l’extraordinaire Sucher, quels artistes de là-bas sont dignes d’être comparés aux nôtres ? Mais encore, parmi ceux-ci, faudra-t-il bien choisir. Le fâcheux serait de se laisser décevoir par l’éclat des renommées, ou de céder à la tyrannie des hiérarchies. Ce ne sont pas les plus illustres artistes français qui doivent chanter et jouer Richard Wagner. — non, ce sont les meilleurs d’entre les plus jeunes. Qui donc