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sur la côte de californie

domination espagnole : elle tarda à s’accomplir, mais l’état de choses auquel elle mit fin ne subsistait plus qu’en apparence.

Les souvenirs de cette époque tranquille et poétique sont restés chers aux cœurs des Californiens ; mais je gage que du haut du ciel, où ses vertus et ses bonnes intentions l’ont certainement conduit, le Père Junipero Serra a refusé de regarder les lampions allumés en son honneur, le jour de son centenaire.

iii


La période qui s’écoula de 1810 à 1846 vit se former, sur la côte du Pacifique, une société aimablement paresseuse, élégante, naïve et brave comme les aristocraties coloniales essaimées par la vieille Espagne dans les solitudes du nouveau monde. Étant pour la plupart de sang très pur, ces Californiens méprisaient un peu la République mexicaine devenue leur mère patrie, mais ils obéissaient à ses lois sans résistance. Ce qu’ils aimaient surtout, c’étaient l’atmosphère cristalline, les soirs embrasés, l’alternance heureuse des plaines, des bois et des monts, la grande houle de l’océan sur les grèves dorées et cette effervescence joyeuse de la nature qui, chaque printemps, revêt le pays d’un manteau de fleurs aux nuances triomphales. Éparpillés sur ce vaste territoire, se grisant d’air irrespiré, adorant le sport et la musique, ils se donnaient les uns aux autres une hospitalité charmante. Le galop et la sérénade rythmaient leur vie.

Point d’industries, bien entendu ; pas même le désir d’en établir. Les objets manufacturés leur arrivaient à de longs intervalles : ils les payaient fort cher et n’en prenaient nul souci. À partir de 1822, il y eut un commerce régulier avec Boston, par la voie de Panama. Puis, vers 1826, les premiers trappeurs apparurent, venant des montagnes Rocheuses, de ces profondeurs inconnues et terribles vers lesquelles on ne tournait que des regards craintifs, comme les enfants qui ont