Page:Revue de Paris - 1897 - tome 4.djvu/458

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la peine à le suivre. Excessivement affairé, il avait toujours l’air de se hâter ; sa physionomie semblait dire incessamment qu’il n’y avait pas une minute à perdre, — ou tout serait perdu !

— Singulier phénomène, mon ami ! — commença-t-il en s’arrêtant pour reprendre haleine. — Sur la surface de la terre il gèle, comme tu vois ; mais tu n’as qu’à relever un peu le thermomètre pour reconnaître qu’à la hauteur d’une toise il fait déjà chaud... D’où vient cela ?

— Ma foi, je n’en sais rien, répondit Kovrine.

— On ne peut jamais tout savoir, c’est évident. Si vaste que soit l’esprit, impossible d’y loger tout. Il parait d’ailleurs que la philosophie t’intéresse plus spécialement, n’est-ce pas ?

— Oui, j’enseigne la psychologie, mais je m’occupe de philosophie en général.

— Et cela ne t’ennuie pas ?

— Au contraire, cela me passionne dans la vie.

— Eh bien, tant mieux ! dit Yégor, en promenant sa main sur ses favoris d’un air pensif. — Tant mieux... J’en suis très content pour toi, mon garçon...

Mais soudain il tendit l’oreille, puis, la mine féroce, il s’élança et disparut derrière les arbres, dans un nuage de fumée.

— Qui est-ce qui a bien pu attacher son cheval à ce pommier ? — l’entendit-on crier tout à coup d’une voix navrante et désespérée. — Quel est le misérable, quel est le vaurien qui a osé... Oh ! mon Dieu, mon Dieu ! voilà qu’ils me l’ont gâté, abîmé, perdu ! Oh ! mon pauvre jardin, c’en est fait de lui ! Mon Dieu !... Mon Dieu ! ..

Lorsqu’il rejoignit enfin Kovrine, il avait la figure décomposée, comme si quelqu’un venait de lui faire un affront.

— Impossible de vivre avec ces idiots ! cria-t-il presque en pleurant et les bras grands ouverts. — Cet imbécile d’Ivan, après avoir toute la nuit transporté du fumier, n’a-t-il pas fini par attacher son cheval à un de mes plus beaux arbres ?... Et il faut voir comme ce butor avait serré les guides, si bien que l’écorce en a crevé à trois endroits ! Qu’en dis-tu, hein ?... Je lui adresse la parole, et lui, il reste comme une