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L’ÎLE DE PÂQUES

de leurs vieillards, ils seraient partis, il y a deux siècles ou trois, de l’île océanienne la plus avancée vers l’est, d’une certaine île de Rapa — qui existe bien réellement et s’appelle encore ainsi. — Et c’est en mémoire de cette très lointaine patrie qu’ils auraient nommé leur nouvelle terre : Rapa-Nui (la Grande Rapa).

Cette origine étant admise, reste tout le mystère de leur exode et de leur voyage. En effet, la région australe du Grand Océan comprise entre l’Amérique et l’Océanie est à elle seule beaucoup plus large que l’Océan Atlantique ; elle représente la solitude marine la plus vaste, l’étendue d’eau la plus effroyablement déserte qui soit à la surface de notre monde — et, au centre, gît l’île de Pâques, unique, infime et négligeable comme un caillou au milieu d’une mer. En outre, les vents dans cette région ne soufflent pas, comme chez nous, de tous les points du ciel, mais d’une direction constante, et, pour des navires venant de Polynésie, ils ne peuvent qu’être éternellement contraires. Alors, sur de simples pirogues, au bout de combien de mois d’un louvoyage obstiné, avec quels vivres, guidés par quelle prescience inexplicable, comment et pourquoi ces navigateurs mystérieux ont-ils réussi à atteindre justement ce grain de sable, égaré dans une telle immensité[1] ? Depuis leur arrivée, d’ailleurs, ils auraient perdu tout moyen de communication avec le reste de la terre.

Mais, qu’ils soient des Polynésiens, ces gens-là, des Maoris, c’est incontestable. Devenus seulement un peu plus pâles que leurs ancêtres, à cause du climat nuageux, ils en ont gardé la belle stature, le beau visage très caractérisé, avec l’ovale un peu long et les grands yeux rapprochés l’un de l’autre. Ils ont conservé aussi plusieurs des coutumes de leurs frères de là-bas, et surtout ils en parlent le langage.

C’est même pour moi l’un des charmes imprévus de cette île que la langue des Maoris y soit parlée, car j’ai commencé de l’étudier dans les livres des missionnaires, en prévision de notre arrivée prochaine à « Tahiti la délicieuse », dont je rêvais depuis mon enfance. Et ici, pour la première

  1. D’après la tradition des Maoris et leurs généalogies d’ancêtres, cette aventure de leur arrivée à l’ile de Pâques ne remonterait qu’à un millier d’années. — P. L.