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L’ÎLE DE PÂQUES

nous sortons de Tekaouhangoaru comme on s’éveillerait d’un cauchemar d’obscurité et de pluie.

Il y a même dans le lointain, près de la mer, quelque chose qui ressemble à une maisonnette d’Européen. Et c’est, nous dit le Robinson danois, la troisième des habitations que les missionnaires avaient jadis construites ; dans ce lieu, qui s’appelle Vaïhou, il y avait en ce temps-là une tribu heureuse qui vivait au bord de la plage ; mais plus personne aujourd’hui ; Vaïhou est un désert et la maisonnette tombe en ruine.

Nous apercevons déjà le cratère de Ranoraraku, au pied duquel nous trouverons, paraît-il, ces statues annoncées, différentes de toutes les autres, plus étranges et encore debout. Nous n’en sommes bientôt qu’à deux lieues, et ce sera le terme de notre voyage. Donc, ici, dans la maison vide, nous nous arrêterons pour déjeuner ; d’abord, cela soulagera plus tôt les épaules de nos marins, et puis nous aurons au moins l’abri d’un reste de toiture.

Une sauvagesse très vieille et d’affreuse laideur se montre sur la porte, ensuite vient à nous avec des sourires craintifs. C’est la seule créature vivante rencontrée sur notre chemin. Elle a fait son gîte de cette petite ruine solitaire, et, sans doute, elle est quelque fille de la tribu disparue. — Mais de quoi vit-elle et qu’est-ce qu’elle peut bien manger ? Des racines, probablement, des lichens, avec des poissons qu’elle pêche.

***

À partir de Vaïhou, le pays que nous traversons est sillonné de sentiers aussi battus et piétinés que s’il y passait chaque jour une foule nombreuse. Et cependant tout est désert : on nous l’avait dit, et nous le voyons bien ; notre guide indigène nous assure même qu’à part cette vieille femme, on ne trouverait pas un être humain à cinq lieues à la ronde. Alors. que penser ?… Dans cette île, tout est pour inquiéter l’imagination.

Le lieu dont nous continuons de nous approcher a dû être, dans la nuit du passé, quelque centre d’adoration, temple ou nécropole, car voici maintenant que la région entière s’en-