combre de ruines : assises de pierres cyclopéennes, restes d’épaisses murailles, débris de constructions gigantesques. Et l’herbe, de plus en plus haute, recouvre ces traces des mystérieux temps, — l’herbe à tiges ligneuses comme celles du genêt, toujours, toujours la même herbe et du même vert décoloré.
Nous cheminons à présent le long de la mer. Au bord des plages, sur les falaises, il y a des terrasses faites de pierres immenses ; on y montait jadis par des gradins semblables à ceux des anciennes pagodes hindoues et elles étaient chargées de pesantes idoles, qui sont renversées aujourd’hui la tête en bas, le visage enfoui dans les décombres. L’Esprit des Sables et l’Esprit des Rochers[1], l’un et l’autre gardiens des îles contre l’envahissement des mers, tels sont les personnages des vieilles théogonies polynésiennes que ces statues figuraient.
C’est ici, au milieu des ruines, que les missionnaires découvrirent quantité de petites tablettes en bois, gravées d’hiéroglyphes ; — l’évêque de Tahiti les possède aujourd’hui et sans doute donneraient-elles le mot de la grande énigme de Rapa-Nui, si l’on parvenait à les traduire.
Les dieux se multiplient toujours, à mesure que nous avançons vers le Ranoraraku, et leurs dimensions aussi s’accroissent; nous en mesurons de dix et même de onze mètres, en un seul bloc ; on ne les trouve plus seulement au pied des terrasses, le sol en est jonché ; on voit partout leurs informes masses brunes émerger des hautes herbes ; leurs coiffures qui étaient des espèces de turbans, en une lave différente et d’un rouge de sanguine, ont roulé çà et là, aux instants des chutes, et l’on dirait de monstrueuses pierres meulières.
Près d’un tumulus, un entassement de mâchoires et de crânes calcinés semble témoigner de sacrifices humains qui se seraient accomplis là durant quelque longue période. Et — autre mystère — des routes dallées, comme étaient les voies romaines, descendent se perdre dans l’Océan…
- ↑ Tii-Oné et Tii-Papa, l’ « Esprit des Sables » et l’ « Esprit des Rochers » : ces noms et cette explication viennent des vieux chefs de l’île Laïvavaï (archipel Toubouaï, Polynésie) où se trouvent au bord de la mer des statues de même figure qu’à l’île de Pâques, bien que moins hautes et moins détériorées. — P. L.