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non loin de cette grâce. La Circoncision est une féerie de lumière, et les chairs de l’enfant, et la robe d’or, et les couleurs et les rayons fleurissent au centre de la toile comme la rosace d’une cathédrale dans les ténèbres.

L’homme créateur de ces merveilles, abritées dans les grandes collections d’Angleterre, et de celles qui sont à Amsterdam, Paris, Saint-Pétersbourg, Dresde, Munich, Cassel, ailleurs encore, — ce Rembrandt est lui aussi présent, et ses portraits successifs ne sont pas les moins extraordinaires. Peut-être même est-ce son portrait de 1658 qui est de l’art le plus magnifique, de l’expression sublime entre toutes. Il est plus grand que nature, vêtu d’une jaune tunique juive à grands plis, la main sur un bâton, le front dans l’ombre d’un grand chapeau noir. Quel regard assuré, dominateur ! Quelle ampleur ! Et le beau voyageur humain !

Le Rembrandt de l’année suivante, superbe de force, de couleur, le visage rouge, les cheveux roux, les vêtements d’un noir de nuit, est plus ravagé, les traits durcis de tristesse, animés d’une volonté invincible. Cet autre, entre 1660 et 1665, en robe grenat, la palette à la main, a toute sa bonhomie tranquille. Cet autre, de 1661, la vieillesse subitement venue, se réjouit de la comédie humaine, de sa science acquise. Le dernier, de 1669, l’année de la mort, content malgré tout, est une image de bonté qu’il faut vénérer. C’est ici, cette bonté, le mot suprême de Rembrandt, c’est sa haute vertu qu’il nous lègue, sans orgueil, simplement, loyalement, comme il a vécu.


Je sors de ces merveilleuses salles, je revois la rue, la mêlée des hommes, je repasse mon voyage, je confronte le réel présent et le rêve évanoui de Rembrandt. Il se trouve que les lignes fuyantes des horizons sont fixées aux moindres de ses dessins, que les visages rencontrés s’identifient aux visages peints. Il y a un échange direct entre la nature et l’art. Cela n’est vrai que pour quelques rares artistes. Burne Jones, dont je vais visiter l’exposition dans Regent-Street, n’a pas cet amour, cette avidité de la vie. C’est un érudit qui transpose d’après l’art, qui rassemble en mosaïque des détails pauvrement exacts dont l’ensemble est inharmonieux. Il a vécu son