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rêve italien dans cette ville aux aspects sans nombre, et il l’a presque ignorée. Rembrandt, génie du Nord, est davantage chez lui à Londres. Il est fâcheux que ce soit seulement une légende qui l’ait fait venir en ce pays. Il aurait, ici, humé avec délices, l’air de mer qu’apporte la Tamise et le mystérieux brouillard mordoré. Il aurait respiré cette odeur de bière, de gin, qui emplit les rues. Il aurait cherché les lueurs de la peur et de l’héroïsme aux yeux flambants ou effarés de l’ivresse. Il aurait pénétré aux tavernes, parcouru l’univers évoqué par les Docks, les bassins où se pressent, comme les arbres d’une forêt, les mâts des vaisseaux. Je lis dans le Temps, acheté à Leicester-Square, un extrait passionné de Carlyle racontant les funérailles d’Élisabeth et découvrant Shakspeare dans la foule. Dans toute foule humaine, on évoquera, avec Shakspeare, Rembrandt. Les analogies de ces deux génies se déduisent d’elles-mêmes. Rembrandt est un prodigieux enregistreur, comme Shakspeare, comme Balzac. Sa force est de se satisfaire de toutes les réalités, de sentir la poésie de toutes choses, d’exprimer cette poésie par la magie de la lumière et de l’ombre.


gustave geffroy