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LE FEU

marbre, a concentré tout l’effort de la méditation humaine. De même que le fleuve remplit la paume qui se creuse, de même l’éternel mystère dont nous sommes environnés remplit ce peu d’espace ouvert dans la matière des montagnes par le ciseau du Titan ; et il y est resté, il s’y est condensé dans la suite des siècles. Je ne connais que l’ombre mobile de votre visage, Fosca, qui parfois égale cette ombre en intensité, qui parfois même la surpasse.

Avide de poésie et de savoir, elle se tendait toute vers l’animateur. Elle fut pour lui la figure idéale de celle qui écoute et comprend. Le pli fort et sauvage de ses cheveux imita l’impatience des pennes autour de son front pur. Une parole belle tira subitement les larmes de ses yeux, comme la goutte qui tombe dans un vase plein et qui le fait déborder.

Elle lui lut les pages des souverains poètes. La forme auguste du Livre parut magnifiée par les attitudes qu’elle prit en le tenant, par les gestes qu’elle fit en tournant les feuillets, par la religieuse gravité de l’attention, par l’harmonie des lèvres qui changeaient en cadences vocales les signes imprimés. Pour lire le poème de Dante, elle fut sévère et noble comme les sibylles qui, aux voûtes de la Sixtine, soutiennent le poids des saints volumes avec tout l’héroïsme de leur corps ému par le souffle des prophéties. Les lignes de son maintien et jusqu’aux moindres plis de sa tunique, aussi bien que les modulations de sa voix, éclaircirent le texte divin.

La dernière syllabe exhalée, elle vit Stelio se lever d’un bond, trembler comme dans la fièvre, errer à travers la chambre sous l’aiguillon du dieu, haleter de l’angoisse que lui donnaient les tumultes confus de sa force créatrice. Parfois, elle le vit venir à elle avec les yeux rayonnants, transfiguré par une soudaine béatitude, illuminé par une flamme intérieure, comme si tout à coup se fût allumée en lui une surhumaine espérance ou que se fût révélée une vérité immortelle. Prise d’un frisson qui abolissait dans son sang le souvenir de toutes les caresses, elle le vit venir à elle et courber la tête sur ses genoux, abattu par l’ébranlement terrible du monde qu’il portait en lui-même, par la secousse qui accompagnait quelque métamorphose cachée. Elle souffrit et elle