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LE FEU

gnant la tête de Crassus, tout plein de la fureur dionysiaque, il chante ces vers :

 Nous apportons des montagnes
À nos demeures un lierre coupé récemment,
Insigne proie…

» Et le chœur saute d’allégresse. Et, comme Agave dit qu’elle a pris sans filet ce lionceau, le chœur demande qui lui a donné le premier coup. Et Agave répond :

J’ai eu cet honneur…

» Mais Pomaxathrès, l’un des convives, se dresse d’un bond, et arrache la tête aux mains de l’acteur furieux, et s’écrie qu’il lui appartient bien mieux qu’à Jason de dire cela, puisque c’est lui qui a tué le Romain. Sens-tu la beauté prodigieuse de cette scène ? Le visage féroce de la Vie flamboie subitement à côté du Masque en métal et en cire ; l’odeur du sang humain excite la frénésie rythmique du Chœur ; un bras donneur de mort déchire les voiles de la fiction tragique. Cet épilogue inouï, par lequel se termine l’expédition de Crassus, m’enthousiasme. Eh bien, l’irruption de la Moire antique dans ma tragédie moderne ressemble à l’arrivée inattendue de Sillaces dans le banquet de l’Arménien. Au début, la vierge, sur la terrasse qui regarde les murs cyclopéens et la Porte des Lions, tient entre ses mains le livre des Tragiques et lit la lamentation d’Antigone. La divinité fatale est enfermée dans ce livre, dominant les images de la douleur et du crime. Mais ces images sont évoquées par les vivantes paroles ; et, près du pur péplum de la martyre thébaine, rougeoie l’insidieuse pourpre déployée par Clytemnestre ; et les héros de l’Orestie recommencent à vivre, tandis qu’un homme explore leurs tombeaux dans l’Agora. Ils s’agitent obscurément au fond de la scène comme des Ombres, se penchent pour écouter les dialogues, empoisonnent l’air avec leur haleine. Tout à coup, on entend les cris qui annoncent le grand événement. Le voilà, l’homme qui a ouvert les sépulcres et vu le visage des Atrides ; le voilà, tout irradié par l’émerveillement de la mort et de l’or ! Il est là, avec l’aspect de celui qui délire. Les âmes sont