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LA REVUE DE PARIS

voilait sa souffrance, à le voir si près d’elle et toutefois si distant. Elle sentit qu’à cette heure il n’aimait personne, ni elle, ni Donatella, mais qu’il les considérait l’une et l’autre comme de purs instruments de l’art, comme des forces à employer, « des arcs à tendre». Il brûlait dans sa poésie ; et elle, avec son pauvre cœur blessé, avec son secret supplice, avec son imploration silencieuse, elle était là, attentive seulement à préparer son holocauste, à outrepasser l’amour et la vie, comme l’héroïne du drame futur.

« Ah ! qu’est-ce qui pourrait jamais te rapprocher de moi, te jeter sur mon cœur fidèle, te faire trembler d’une autre angoisse ? » pensait-elle en le voyant étranger, perdu dans le rêve. « Une grande douleur, peut-être : un coup imprévu, une désillusion cruelle, un mal irréparable. »

Elle retrouva dans sa mémoire ce vers de Gaspara Stampa, loué par lui :

 Vivere ardendo a non sentire il male !

Et elle revit la soudaine pâleur du jeune homme quand elle s’était arrêtée dans le sentier, entre les deux murs, et qu’elle avait déclaré ses premiers titres de noblesse dans la lutte pour l’existence.

« Ah ! si un jour tu pouvais sentir vraiment toute la valeur d’une dévotion comme la mienne, d’une servitude comme celle que je t’offre ! Si vraiment, un jour, tu avais besoin de moi, et que, ayant perdu courage, tu reprisses de moi la confiance, et que, fatigué, tu retrouvasses la force en moi ! »

Elle était réduite à invoquer la douleur au secours de son espérance ; et, tandis qu’elle se disait à elle-même : « Si, un jour… », le sens du temps lui revenait, le sens du temps qui fuit, de la flamme qui se consume, du corps qui se fane, des innombrables choses qui se corrompent et périssent. Désormais, chaque jour devait creuser une ride sur son visage, décolorer ses lèvres, éclaircir ses cheveux ; désormais, chaque jour était au service de la vieillesse, hâtait l’œuvre de destruction sur la chair misérable. « Eh bien ?… »

Elle reconnut encore une fois que toujours le désir, le désir invaincu, était l’artisan de toutes les illusions et de toutes les espérances qui paraissaient l’aider à accomplir « cette chose