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LE FEU

que l’amour ne peut pas ». Elle reconnut que tout effort pour l’extirper serait vain ; et, découragée, elle vit se détruire en une seconde l’artifice auquel sa volonté avait contraint son âme. Avec une honte secrète, elle sentit combien misérablement elle ressemblait en ce point à l’actrice qui, au sortir de la scène, dépose son déguisement. Tout à l’heure, lorsqu’elle avait proféré ces paroles qui, interrompant le silence, avaient exprimé avec l’accent de la sincérité un regret feint, n’avait-elle pas agi comme celle qui récite un rôle ? Mais elle en avait souffert, mais elle avait dû tordre son cœur vivant, mais c’était du plus amer de son sang qu’elle avait extrait une telle douceur. « Eh bien ?… »

Elle reconnut que l’atroce contrainte de ces derniers jours n’avait pas même réussi à créer en elle un indice du sentiment nouveau où son amour devait se sublimer. Elle était comme ces jardiniers qui, avec les ciseaux, donnent une forme artificielle aux plantes ; mais celles-ci n’en conservent pas moins leur tronc vigoureux et toutes leurs racines intactes pour franchir par une rapide expansion sauvage le contour imposé, si l’œuvre du fer n’est pas assidue autour de leurs branches. Son effort était donc aussi douloureux qu’inutile : car il n’avait qu’une efficacité extérieure et laissait le fond immuable, y accroissait même l’intensité du mal en le comprimant. Sa tâche secrète se réduisait donc à une constante dissimulation ! Cela valait-il la peine de vivre ?

Elle ne pouvait et ne voulait continuer de vivre qu’à la condition de trouver finalement son harmonie. Mais, par l’expérience de ces derniers jours, elle n’avait réussi qu’à rendre plus grave la discordance entre sa bonté et son désir, elle n’avait réussi qu’à exaspérer son inquiétude et sa tristesse ou à se perdre tout entière dans l’ardeur de l’âme créatrice qui l’attirait pour la fondre comme une substance plastique. Et elle était si loin de l’harmonie cherchée qu’à certains moments elle avait senti sa spontanéité s’arrêter et sa sincérité s’obscurcir et un sourd ferment de révolte gonfler son cœur et de nouveau souffler ce vent de la folie qu’elle redoutait.

Là, sur les coussins du divan, dans l’ombre, n’était-elle