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LA REVUE DE PARIS

sur l’arête d’une meule comme un oiseau, dormait l’enfant déjà triste, tenant le stylet et la tablette où il devait écrire la première parole de sa science. Et à l’entour étaient épars les outils des œuvres humaines ; et, sur la tête vigilante, vers la pointe d’une aile, coulait dans la double ampoule le sable silencieux du Temps ; et l’on apercevait dans le fond la Mer avec ses golfes, avec ses ports, avec ses phares, calme et indomptable, sur laquelle, tandis que le Soleil se couchait dans la gloire de l’arc-en-ciel, volait la chauve-souris crépusculaire, portant inscrite sur ses membranes la parole révélatrice. Et ces ports et ces phares et ces villes, c’était lui qui les avait construits, l’Esprit sans sommeil, couronné de patience. Il avait taillé la pierre pour les tours, abattu le pin pour les navires, trempé le fer pour toutes les luttes. Lui-même avait imposé au Temps l’instrument qui le mesure. Assis, non pour se reposer, mais pour méditer un nouveau labeur, il regardait fixement la Vie, de ses yeux forts où resplendissait l’âme libre. De toutes les formes environnantes montait le silence, excepté d’une. On entendait la seule voix du feu rugissant dans le fourneau, sous le creuset où, de la matière sublimée, devait s’engendrer quelque vertu nouvelle pour vaincre un mal ou pour connaître une loi. Et le grand Ange terrestre aux ailes d’aigle, qui, à son flanc bardé d’acier, portait suspendues les clefs qui ouvrent et qui ferment, répondait ainsi à ceux qui l’interrogeaient : « Le soleil se couche. La lumière, qui naît du ciel, meurt dans le ciel ; et un jour ignore la lumière d’un autre jour. Mais la nuit est une ; et son ombre s’étend sur tous les visages, sa cécité sur toutes les paupières, hormis sur le visage et sur les paupières de celui qui tient son feu allumé pour éclairer sa force. Je sais que le vivant est comme le mort, l’éveillé comme le dormant, le jeune homme comme le vieillard, puisque la mutation de l’un donne l’autre ; et toute mutation a la douleur et la joie pour compagnes égales. Je sais que l’harmonie de l’Univers est faite de discordes, comme dans la lyre et dans l’arc. Je sais que je suis et que je ne suis pas, et qu’il n’y a qu’un seul et même chemin, en bas et en haut. Je sais les odeurs de la pourriture et les infections sans nombre qui sont inséparables