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» Ma première visite fut pour le quartier où j’avais vu vendre des bas et des gants. Il faisait sombre, j’eus l’ennui de courir après des allumettes ; mais je finis par en dénicher dans un tiroir de la petite caisse. Ensuite, il me fallut trouver une bougie. Je déchirai des enveloppes, je fouillai, je ne sais combien de boîtes et de tiroirs ; à la fin, je découvris ce que je cherchais ; l’étiquette du carton portait : « Caleçons et gilets en laine d’agneau ». Puis, des chaussettes, un cache-nez bien épais ; puis, j’allai au rayon des vêtements, je pris un pantalon, un veston d’intérieur, un pardessus, un chapeau mou — une espèce de chapeau ecclésiastique à bords rabattus. — Je commençais à redevenir un être humain. Alors je pensai à manger.

» À l’étage supérieur, il y avait un buffet : j’y trouvai de la viande froide ; du café restait dans la cafetière ; j’allumai le gaz, je le fis réchauffer : ça allait déjà mieux. Ensuite, comme je cherchais des couvertures — il fallut me contenter d’un lot de couvre-pieds, — je tombai sur une section d’épicerie, avec plus de chocolat et de fruits confits qu’il ne m’en fallait, et du bourgogne blanc. À côté, le rayon de jouets : il me vint une idée fameuse… Il y avait là des faux nez, des nez en carton, vous savez ? J’aurais bien voulu des lunettes noires ; mais l’Omnium ne tenait point d’articles d’optique… Mon nez m’avait inquiété ; j’avais pensé à le farder ; mais cette découverte me mit en goût de perruques, de masques, etc. Enfin, j’allai dormir sur un monceau de couvre-pieds, très chauds, très confortables.

» Mes dernières pensées avant de m’assoupir furent les plus riantes qui me fussent venues depuis ma métamorphose. Je jouissais du calme physique, et mon esprit s’en ressentait. Je croyais pouvoir, au matin, m’esquiver sans être vu, avec mes vêtements sur moi, en me couvrant la figure d’un grand cache-nez blanc que j’avais pris ; avec l’argent trouvé, j’achèterais des lunettes et je compléterais ainsi mon déguisement.

» Je ne tardai pas à revoir dans les rêves les plus tumultueux tous les événements fantastiques de ces derniers jours. Je vis un vilain petit juif de propriétaire vociférant chez lui ; je vis ses deux beaux-fils ébahis, et la figure ridée d’une vieille femme qui réclamait son chat. Je connus de nouveau