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l’étrange sensation de voir le tissu disparaître, et je revins sur la colline éventée, j’entendis le vieux clergyman renifler et marmotter sur la tombe ouverte de mon père : « Le limon au limon, la cendre à la cendre, la poussière à la poussière… » « Vous aussi ! » fit une voix. Et, tout à coup, je fus poussé vers le trou. Je me débattais, je criais, j’appelais au secours les gens du convoi ; mais, pas plus émus que les pierres, ils continuaient à suivre le service. Le vieux prêtre lui-même ne cessait de bourdonner et de renifler sur son rituel. Je compris que l’on ne pouvait ni me voir ni m’entendre et qu’une puissance irrésistible avait prise sur moi. En vain je luttai, je fus entraîné au bord, la bière rendit un son sourd quand je tombai dessus, et de la terre fut jetée par pelletées sur mon corps. Personne ne faisait attention à moi, personne ne s’apercevait que j’étais là. Je fis des efforts convulsifs et je me réveillai.

» Le petit jour, le pâle petit jour de Londres était venu ; mon refuge était éclairé d’une lumière grise et froide qui filtrait autour des stores. Je me redressai et, pendant un moment, je ne pus comprendre où j’étais, dans cette vaste pièce, avec ses comptoirs, ses piles d’étoffes enroulées, ces monceaux de couvre-pieds et de coussins, ses colonnes de fer. Puis, la mémoire me revint, j’entendis des voix qui causaient.

» Là-bas, là-bas, dans la lumière plus vive d’un comptoir qui avait déjà levé ses stores, je vis approcher deux hommes. Je me laissai glisser, cherchant par où je pourrais fuir. Mais le bruit de mon mouvement les avertit de ma présence : ils aperçurent, sans doute, une forme qui s’en allait avec le moins de tapage et le plus vite qu’elle pouvait. « Qui est là ? cria l’un. — Arrêtez ! » cria l’autre. Je tournai précipitamment un coin, et je tombai en plein — moi, corps sans tête, ne l’oubliez pas ! — sur un grand flandrin qui pouvait bien avoir quinze ans. Il poussa des hurlements, je l’envoyai rouler par terre, je sautai par-dessus lui, je tournai un autre coin, et, par une heureuse inspiration, je me jetai à plat ventre derrière un comptoir. Presque aussitôt j’entendis des pas courir le long du comptoir et me dépasser ; des voix criaient : « Tout le monde aux portes ! » Et l’on demandait