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» J’entrepris une visite domiciliaire en règle. Je suis porté à croire que le bossu vivait seul dans sa maison depuis quelque temps. C’était un curieux personnage… Tout ce qui pouvait m’être de quelque utilité, je le rassemblai dans le magasin aux hardes, et alors je fis un choix réfléchi. Je trouvai une valise que je crus bon d’avoir, puis de la poudre, du fard, du taffetas d’Angleterre, etc., etc.

» J’avais pensé à me maquiller, à me poudrer la figure et les mains, tout ce qu’il y avait à montrer de ma personne pour redevenir visible ; mais l’inconvénient, c’est qu’ensuite il m’aurait fallu de la térébenthine et d’autres drogues, et je ne sais combien de temps, pour disparaître de nouveau. Finalement, je jetai mon dévolu sur un nez du meilleur type — légèrement grotesque, sans doute, mais pas plus que celui de beaucoup d’êtres humains, — sur des lunettes noires, des favoris grisonnants et une perruque. Des vêtements de dessous, il n’y en avait pas ; mais je pouvais en acheter plus tard, et, pour le moment, je m’emmaillotai dans des dominos de coton et des écharpes de cachemire. Je ne trouvai pas de chaussettes, mais les bottes du bossu m’allaient assez bien, et cela suffisait. Dans la caisse de la boutique, trois souverains et environ la valeur de trente shillings en monnaie d’argent ; dans un buffet dont je fis sauter la serrure, dans l’arrière-boutique, huit livres en or. Ainsi équipé, je pouvais faire ma rentrée dans le monde.

» J’eus pourtant une hésitation bizarre. Mon extérieur était-il acceptable ? Je m’examinai dans un petit miroir, me regardant sous toutes les faces pour découvrir quelque oubli ; tout me parut convenable. J’étais grotesque comme peut l’être un acteur, — un avare de théâtre, — mais enfin, je n’étais pas une monstruosité physique. Reprenant confiance, je descendis mon miroir dans la boutique, et, les stores levés, je m’examinai encore soigneusement à l’aide de la psyché qui était dans le coin.

» J’eus besoin d’un peu de temps pour prendre mon courage à deux mains. Puis, j’ouvris la porte et je m’avançai dans la rue, laissant le petit homme se débarrasser de son drap comme il l’entendrait. En moins de cinq minutes, j’avais tourné par une douzaine de rues qui me séparaient de la