Après tout, cet homme était chez lui ; et vous, vous étiez bel et bien en train de le voler.
— De le voler ? Mon Dieu, mon Dieu ! vous allez m’appeler filou bientôt !… Assurément, Kemp, vous n’êtes pas assez naïf pour donner dans les vieux préjugés. Vous figurez-vous ma position ?
— Et la sienne ! »
L’homme invisible s’interrompit d’un air piqué :
— Que voulez-vous dire ?
La figure de Kemp devint un peu dure. Il allait parler, mais il se retint.
— Somme toute, — fit-il avec un changement subit, — je pense qu’il fallait marcher. Vous étiez dans une impasse. Mais encore…
— Évidemment, j’étais dans une impasse, dans une terrible impasse ! Et il faut dire aussi que cet homme m’avait mis en fureur, à me pourchasser partout dans sa maison, à gesticuler comme un fou avec son revolver, à fermer et à ouvrir toutes ses portes. Il était tout simplement exaspérant. Vous ne me blâmez point, n’est-ce pas ? Vous ne me blâmez point ?
— Je ne blâme jamais personne, répondit Kemp. Ça ne se fait plus… Et ensuite ?
— J’avais faim. En bas, je trouvai du pain et du fromage qui sentait fort : c’était plus qu’il ne fallait pour satisfaire mon appétit. Je bus un peu d’eau-de-vie avec de l’eau. Puis, je retournai, en passant par-dessus le sac, — il gisait toujours là, immobile — je retournai dans la chambre aux vieux habits. Elle donnait sur la rue ; deux rideaux au crochet, noirs de saleté, ornaient la fenêtre ; j’allai regarder au travers : dehors, le jour était clair, éblouissant, par contraste avec les ombres de la maison lugubre où je me trouvais. La circulation était active : des charrettes de fruits, un cab, une voiture à galerie couverte de caisses, la charrette d’un marchand de poisson… Quand je me retournai, des taches de couleur flottaient devant mes yeux sur les meubles couverts d’ombre. À mon agitation, maintenant, succédait une claire intelligence des choses. La chambre était pleine d’une légère odeur de benzine, employée, je suppose, pour nettoyer les habits.