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tinée, il n’était encore qu’une légende, un sujet d’effroi ; dans la journée, grâce surtout à une proclamation rédigée par Kemp en termes secs, on se le représenta comme un adversaire tangible, qu’il s’agissait de blesser, de capturer, de vaincre, et tout le pays commença de s’organiser avec une rapidité incroyable. À deux heures, il aurait encore pu quitter le district en prenant quelque train ; plus tard cela devenait impossible : tous les trains de voyageurs, sur toutes les lignes, dans un grand parallélogramme, de Southampton à Winchester et de Brighton à Horsham, avaient leurs portes fermées à clef, et le trafic des marchandises était presque entièrement suspendu. Dans un rayon de vingt milles autour de Port-Burdock, des hommes armés de fusils et de gourdins furent bientôt répartis en groupes de trois ou quatre, avec des chiens, pour battre les routes et les champs.

Des agents à cheval galopèrent sur tous les chemins de la contrée, s’arrêtant à chaque cottage, invitant les gens à fermer leurs maisons, à ne pas sortir sans être armés ; toutes les écoles communales furent licenciées à trois heures, et les enfants effrayés, réunis en bandes, rentrèrent chez eux précipitamment. La proclamation de Kemp, signée par le colonel Adye, fut placardée dans presque tout le district vers quatre ou cinq heures : elle indiquait brièvement, mais clairement, toutes les conditions de la lutte à engager, la nécessité de priver l’homme invisible de nourriture et de sommeil, la nécessité d’une vigilance incessante, et elle recommandait, en outre, une attention alerte à tout ce qui pourrait indiquer les mouvements de l’ennemi. Si rapide, si décidée fut l’action des autorités, si prompte, si universelle fut la croyance à cet être extraordinaire, qu’avant la tombée de la nuit une superficie de plusieurs centaines de milles carrés fut strictement en état de siège. Avant la tombée de la nuit aussi, un frémissement d’horreur se propagea dans toute la population en éveil et nerveuse ; de bouche en bouche, et de long en large à travers tout le pays, courait l’histoire du meurtre de M. Wicksteed.

Si nous avons raison de supposer que le refuge de l’homme invisible était dans les taillis de Hintondean, nous devons supposer aussi qu’au début de l’après-midi il fit une sortie,