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Tapetum.

– C’est cela, le tapetum. Cela n’allait pas. Après lui avoir fait prendre la drogue pour blanchir le sang, après lui avoir fait subir diverses préparations, je donnai à la bête de l’opium, et je la plaçai, avec l’oreiller où elle dormait, sur l’appareil. Eh bien, tout le reste s’évanouit, disparut ; mais il resta les deux petites flammes des yeux.

— Bizarre !

— Je n’y peux rien comprendre. Le chat était bien attaché, naturellement : il n’allait pas se sauver. Mais il se réveilla, encore engourdi, et miaula doucement… On frappa à la porte… C’était une vieille femme qui demeurait au-dessous, et qui me soupçonnait de faire de la vivisection : une vieille, ruinée par la boisson, et qui n’avait plus rien au monde que son chat. Je pris vivement du chloroforme, j’en fis une application, et j’allai répondre à la porte. « N’ai-je pas entendu un chat ? demanda-t-elle ; mon chat ? — Ce n’est pas ici », fis-je très poliment. Elle n’avait pas grande confiance, et elle essayait de glisser un coup d’œil derrière moi dans la chambre : tout, en effet, était assez étrange pour elle, les murailles nues, les fenêtres sans rideaux, le grabat, le moteur à gaz en trépidation, l’éclat des points rayonnants et cette odeur de chloroforme dans l’air. Enfin, elle dut se contenter de ma réponse, et elle s’en retourna.

— Combien cela prit-il de temps ? demanda Kemp.

— Le chat ?… trois ou quatre heures. Les os, les nerfs, la graisse furent les derniers à disparaître, ainsi que l’extrémité des poils de couleur. Et, comme je vous le dis, le fond de l’œil — une matière visqueuse et chatoyante — ne s’en allait pas du tout.

» Il faisait nuit dehors bien avant que la chose fût terminée ; on ne voyait plus rien que les yeux ternes et les griffes. J’arrêtai le moteur à gaz, je cherchai à tâtons, je caressai la bête, qui était encore insensibilisée, je détachai ses liens ; puis, me sentant fatigué, je la laissai dormir sur l’oreiller invisible, et je me couchai. J’eus de la peine à m’endormir ; je restais éveillé, pensant vaguement à des choses sans suite, reprenant toujours mon expérience, rêvant fiévreusement que tous les objets s’obscurcissaient peu à peu,